Série Querer, la violence de genre et ses multiples facettes : analyse d’une œuvre cinématographique
Amandine ANDRUCHIW
La série Querer, diffusée sur Arte en juin 2025 : une œuvre charnière dans la représentation de la violence de genre, notamment pour son approche inédite de la violence économique et du viol conjugal.
1. Introduction et présentation de la série
La série Querer, diffusée sur Arte en juin 2025, est une mini-série espagnole réalisée par Alauda Ruíz de Azúa et composée de quatre épisodes d'une durée de 40 à 50 minutes chacun. Elle met en scène le parcours de Miren Torres, une femme qui, après trente ans de mariage, décide de porter plainte contre son mari Íñigo pour viol conjugal. Le titre Querer, qui signifie à la fois aimer, désirer et vouloir en espagnol, révèle d'emblée la complexité sémantique autour de laquelle les quatre épisodes (« Querer », « Mentir », « Juzgar », « Perder »)1 vont se déployer.
En effet, la série s'attache à narrer les étapes complexes de ce parcours qui est aussi un déchirement : la plainte initiale et ses répercussions sur l'entourage, le procès quelques années plus tard, puis l'issue judiciaire et ses conséquences sur chacun des protagonistes. Ce faisant, la série illustre la difficulté pour une femme de se projeter hors de l'emprise conjugale, d'accéder à l'autonomie économique ou simplement de retrouver une vie sereine avec un tel vécu.
Ce récit, salué par la critique pour son réalisme et la profondeur du jeu des acteur.ices, aborde des questions fondamentales sur la place de la parole des femmes dans la société à travers une histoire intime et sobre. Sans montrer frontalement la violence, la série en fait ressentir la réalité en adoptant un ton retenu qui invite à s'interroger sur ce qui fait preuve, sur la nécessité de croire la parole des victimes, et sur l'urgence de briser le silence collectif entourant ces questions. La série souligne en permanence l'ambiguïté du consentement dans le couple, la difficulté structurelle de croire la parole des femmes. Le procès, présenté sans artifice, devient alors le moment où la société se confronte à ses propres aveuglements. Celui-ci révèle combien les acteurs du système judiciaire, avec leur langage spécifique, échouent encore trop souvent à comprendre ce qui se passe dans l'intimité conjugale. C'est sans doute là que réside le principal intérêt de la série : dans ce vertige de l'incertitude et la difficulté inhérente au jugement, qui forcent le spectateur à questionner ses propres certitudes face à des situations où la vérité demeure insaisissable.
Querer constitue vraiment une œuvre charnière dans la représentation de la violence de genre, notamment pour son approche inédite de la violence économique et du viol conjugal. La série explore les complexités du consentement au sein du mariage et les dynamiques familiales face à la violence sexuelle domestique, en plaçant le spectateur dans la même position que le tribunal : il ne dispose que d'informations partielles, ce qui illustre un des principaux écueils qui rend ces cas réels si difficiles à juger.
2. Éléments d'analyse
Pour saisir pleinement la portée de cette œuvre, il convient d'examiner certains des mécanismes qu'elle met au jour. Cette analyse s'articulera autour de plusieurs axes complémentaires, du questionnement épistémique aux enjeux de santé, en passant par les dynamiques économiques et intergénérationnelles.
A. L'injustice épistémique : qui croire ?
La philosophe anglaise Miranda Fricker2 avance l'idée que certaines injustices naissent dans le domaine du témoignage, lorsqu'un préjugé vient diminuer la crédibilité accordée à la parole d'une personne dans un contexte donné. Il en résulte que certains sujets peuvent faire l'expérience d'une « injustice testimoniale », c'est-à-dire voir leur fiabilité comme témoin partiellement récusée, non pas en raison de leur conduite ou d'erreurs répétées qui justifieraient une telle perte de confiance, mais uniquement en fonction de caractéristiques sociales telles que leur sexe, leurs origines ou leur appartenance de classe. En d'autres termes, dans les cas d'injustice épistémique, la crédibilité d'un individu lui est retirée en raison de biais enracinés dans les rapports sociaux.
Dans sa réflexion, Fricker distingue deux formes principales de cette injustice. L'injustice testimoniale désigne le processus par lequel le témoignage d'un individu est disqualifié ou jugé peu fiable en raison de préjugés liés à son identité sociale. L'injustice herméneutique, quant à elle, se produit lorsqu'une personne ne dispose pas des ressources conceptuelles nécessaires pour interpréter et exprimer adéquatement son expérience. Dans ces situations, la personne est privée d'intelligibilité : elle peine à faire reconnaître ce qu'elle vit, parce que son environnement social ne partage pas les concepts permettant d'interpréter cette expérience. Cela résulte de formes diverses de marginalisation qui empêchent l'accès à ce cadre de compréhension. Comme le résume clairement la chercheuse Brenda Bogaert « Une personne peut subir une injustice épistémique si elle n'est pas « suffisamment » crue ou si elle n'est pas « suffisamment » comprise à cause de son appartenance à un groupe non dominant et à cause de biais qui permettent d'appréhender ces groupes. »3
La série Querer illustre avec force le glissement possible entre ces deux types d'injustice. Le personnage de Miren semble en effet traverser d'abord une phase d'injustice herméneutique : n'ayant pas accès aux outils conceptuels nécessaires pour nommer ce qu'elle vit, elle est longtemps incapable de reconnaître et de qualifier son expérience de l'emprise et du viol conjugal. Lorsque, progressivement, elle acquiert les moyens de comprendre et d'énoncer sa situation, elle se heurte à un autre obstacle, celui de la décrédibilisation sociale et institutionnelle du témoignage féminin. Le récit met ainsi en évidence le passage d'une injustice herméneutique à une injustice testimoniale : dès lors qu'elle devient, accompagnée de son avocate, capable de dire son vécu, Miren voit sa parole systématiquement mise en doute, au point d'être rejetée ou assimilée à un mensonge. L'épisode du procès apparaît particulièrement révélateur à cet égard : sa crédibilité est attaquée et son discours disqualifié au nom de préjugés profondément ancrés sur la parole des femmes en matière de violences conjugales, la réduisant à l'image d'une menteuse ou d'une femme instable. Cette difficulté à croire la parole des femmes s'aggrave encore quand la violence elle-même semble ne pas laisser de traces matérielles visibles.
B. Le viol conjugal : repenser la violence au-delà du visible
La réalisatrice Alauda Ruíz de Azúa a choisi de ne pas filmer explicitement les agressions afin d'approfondir la compréhension de la violence au-delà de l'acte physique. Cette décision permet à la série, d'une part, de défaire l'association courante de la violence conjugale aux seuls coups et contusions, et, d'autre part, de mettre en évidence les stéréotypes sexistes qui persistent dans la société, notamment dans le domaine judiciaire.
Ainsi, la série dépeint la difficulté à reconnaître et à dénoncer la violence sexuelle au sein du mariage, qui résulte bien souvent d'un processus diffus, complexe et multifactoriel. L'exemple du viol conjugal est révélateur : longtemps nié par les conventions sociales et légales, il demeure encore trop souvent confusément réduit ou associé à la notion obsolète de « devoir conjugal », remettant en cause la possibilité même du viol au sein du mariage. Cette construction sociale patriarcale, en persistant dans les mentalités, contribue à relativiser la violence sexuelle conjugale, à la légitimer, voire à la rendre impensable, alors qu'il est nécessaire de la reconnaître comme une violence à part entière.
Par conséquent, dans Querer, la violence est essentiellement narrée à travers des conversations et des interrogatoires. Miren y explique l'absence de consentement, même sans usage manifeste de la force physique, dans un contexte de vie en permanence marqué par l'emprise de la peur. La décision de ne pas montrer directement la violence sexuelle ou physique met alors l'accent sur ce qui se joue en dehors de la chambre : c'est là que se trouvent les clefs de compréhension pour saisir ce qui se passe à l'intérieur.
Cette violence « invisible » s'appuie notamment sur des mécanismes de contrôle économique qui constituent l'un des ressorts les plus efficaces de l'emprise conjugale.4
C. La violence économique comme instrument de contrôle : implications plurielles
Une des originalités de cette série réside dans la mise en lumière des mécanismes de violence économique, que l'on peut définir comme le contrôle total des ressources, lequel rend une personne dépendante. Or, cette forme de violence ne se réduit pas à une simple privation matérielle : elle agit en réalité comme une barrière structurelle à la dénonciation et contribue ainsi à l'aggravation du cycle de violence.5
Dans Querer, cette dynamique se concrétise de manière particulièrement frappante. En effet, la violence économique s'y manifeste principalement par le contrôle total des finances exercé par Iñigo, qui prive Miren de ses propres ressources et d'un emploi, la rendant ainsi, économiquement, totalement dépendante. Mais au-delà de cette dépendance immédiate, cette stratégie produit également un effet secondaire décisif : elle conduit à l'isolement de Miren, l'éloignant non seulement de sa mère mais aussi de l'ensemble de sa famille, et perpétue de ce fait la situation de violence dans toute ses dimensions.
À ce stade, il importe de souligner que la configuration relationnelle représentée dans l'histoire – une femme issue d'un milieu modeste épousant un homme de condition plus aisée – illustre un paradigme classique de l'asymétrie de pouvoir conjugal. Ce schéma initial n'est en effet pas neutre : il tend, par nature, à générer une dépendance économique structurelle, laquelle peut ensuite être instrumentalisée comme levier de contrôle psychologique et social.
Dans cette perspective, la série met en évidence de façon remarquable l'interconnexion et l'interdépendance des différentes formes de violence. Ainsi, le refus sexuel de Miren peut entraîner des sanctions économiques de la part d'Iñigo ; cet enchaînement favorise son isolement, tandis que les menaces et humiliations qu'elle subit renforcent une peur permanente. Progressivement, se tisse donc une véritable toile d'inégalités de pouvoir où chaque dimension de la violence semble nourrir et intensifier l'autre.
C'est précisément dans cette logique que Querer documente méticuleusement ce que la psychiatre américaine Judith Herman a initialement conceptualisé comme « traumatismes complexes », résultant d'expositions prolongées à des situations de contrôle et d'emprise. Selon Herman, « le trauma complexe décrit la symptomatologie des individus ayant subi des traumatismes prolongés ou multiples, dans des situations où l'évasion était difficile, voire impossible. Ce trouble se caractérise entre autres symptômes par des changements profonds dans la régulation des émotions, la conscience et la perception de soi, et les relations interpersonnelles ».
De fait, la série met en lumière les répercussions sanitaires directes des violences conjugales, particulièrement dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive. L'émergence de douleurs chroniques est présente lorsque Miren évoque lors de ses entretiens avec les autorités les conséquences physiques des viols répétés subis pendant trois décennies. La série privilégie cependant la représentation des troubles psychopathologiques (symptômes dépressifs, anxieux, post-traumatiques) : l'état de vigilance constant de Miren et ses réactions de sursaut illustrent le stress post-traumatique. Celui-ci constitue une des manifestations les plus fréquentes de ces violences, en lien avec des processus de culpabilisation et de honte intériorisés. L'émergence de stratégies dissociatives face à ces traumatismes est particulièrement intéressante : si la dépersonnalisation préserve l'intégrité psychique, elle peut favoriser, paradoxalement, le maintien des violences en compromettant l'évaluation du danger. Cette dynamique apparaît clairement lorsque Miren, revenant du commissariat, malgré sa démarche de libération, « se fige » face au retour imprévu de son mari et reproduit automatiquement les gestes domestiques habituels (préparer un steak), illustrant comment la dissociation entrave parfois les stratégies de protection.6
Or, simultanément à cette emprise psychologique, l'isolement familial orchestré par le conjoint semble pouvoir être lu comme une stratégie de désaffiliation sociale, visant à éroder les réseaux de soutien traditionnels de la victime. Dès lors, la question de l'accès à la justice devient un enjeu nodal : en effet, les coûts judiciaires représentent une barrière économique insurmontable pour des femmes privées de ressources financières autonomes. Cette difficulté systémique illustre de façon exemplaire ce que recouvre la notion même de « violence économique » : la privation de moyens matériels se transforme en instrument de perpétuation de la violence conjugale.
Finalement, la dégradation du niveau de vie de Miren consécutive à la procédure judiciaire vient mettre en lumière un paradoxe particulièrement cruel : la quête légitime de justice s'accompagne d'une aggravation de la précarité. Ainsi, la victime subit une véritable double peine, démontrant comment le système censé la protéger contribue ironiquement à sa précarisation. Par ailleurs, ces dynamiques de pouvoir et de contrôle ne s'arrêtent pas à la relation conjugale mais irriguent l'ensemble de la cellule familiale, notamment à travers la transmission intergénérationnelle des modèles de domination.
D. Reproduction intergénérationnelle des structures patriarcales
Un autre élément que la série met particulièrement bien en évidence, ce sont les réactions contrastées des deux fils adultes de Miren et Iñigo, Aitor et Jon, qui se retrouvent comme contraints de choisir un camp suite au dépôt de plainte. Cette situation exerce une pression immense sur eux et leur entourage. Les deux frères se retrouvent pris dans un véritable dilemme débordant sur leur vie personnelle : croire leur mère ou soutenir un père qui défend son innocence et ne se perçoit pas comme un agresseur. Confrontés à des loyautés divisées, ils subissent les conséquences directes de la violence intrafamiliale et du processus judiciaire, transformant peu à peu profondément leur conception de la famille.
Aitor, l'aîné, illustre parfaitement la reproduction initiale des schémas patriarcaux. En tant qu'homme marié père d'un jeune enfant, il s'identifie instinctivement à la position masculine dominante et refuse de remettre en question le modèle paternel qu'il a intériorisé. Au début de la crise, il admire son père, prend son parti face aux accusations maternelles et reproduit ses comportements dans sa propre relation avec sa femme Izaskun et son fils.
Néanmoins, son personnage évolue progressivement vers une remise en question du récit paternel. Cette trajectoire démontre que l'internalisation des attitudes patriarcales peut être « désapprise » et qu'il est possible de choisir consciemment le type de masculinité à incarner plutôt que de perpétuer automatiquement les schémas hérités. À la différence de son frère, Jon échappe initialement aux codes de genre patriarcaux traditionnels. Étudiant dans la vingtaine, sociable et ouvertement bisexuel, il s'autorise à être davantage sensible et empathique. Lorsque sa mère lui explique les raisons de sa plainte, il l'accueille, l'héberge, l'aide et, malgré ses doutes et ses incertitudes, accorde crédit à sa parole, tout en restant plus en retrait, davantage dans le silence que son frère. Les réactions différentes des deux frères illustrent comment les enfants tentent de concilier leur vécu familial avec leur présent. Tiraillés, ils essaient de « recoller les morceaux » tout en perpétuant inconsciemment les dynamiques de pouvoir qu'ils ont observées ou subies dans leur famille : la colère, le déni, le silence. La série démontre ainsi comment les schémas de domination masculine s'intériorisent et se transmettent à travers les générations, les enfants reproduisant malgré eux les rapports de pouvoir de la cellule familiale dans leurs propres relations futures.
Dans cette analyse des masculinités, il est intéressant de voir qu'Iñigo, le père, représente une masculinité traditionnelle et conservatrice, incarnant une forme de banalité du mal patriarcal largement acceptée dans la société. Perplexe face à la plainte, il ne se considère pas comme un agresseur, ne correspondant pas aux stéréotypes qu'il s'en fait. En effet, personnage manipulateur malgré son apparence de respectabilité, il pense que son profil socio-économique (bien éduqué, aisé et bien entouré) est absolument incompatible avec celui d'agresseur. Il croit au mythe associant les agresseurs à un milieu défavorisé ou à un faible niveau d'éducation.
Querer révèle, en outre, comment la violence de genre se maintient aussi par les pactes de complicité entre hommes, comme l'illustre le témoignage favorable de son ami Ramón au procès. En acceptant de témoigner en sa faveur, Ramón manifeste une solidarité qui dépasse le jugement moral des actes commis. Plus encore, il justifie l'agressivité d'Iñigo envers Miren qu'il avait observée lors d'un réveillon, normalisant ainsi la violence conjugale. Cette attitude illustre comment les hommes peuvent former des alliances tacites pour protéger l'un des leurs, même face à des comportements violents. Le témoignage de Ramón transforme donc l'espace judiciaire en un lieu où la violence masculine trouve une légitimation collective, perpétuant les mécanismes de domination patriarcale.
En somme, Iñigo, Aitor et Jon sont trois hommes de générations différentes dans l'entourage de Miren, qui permettent d'aborder la violence de genre dans sa dimension à la fois structurelle et intersectionnelle, révélant les mécanismes complexes de transmission et de reproduction des schémas patriarcaux. Au-delà de ces dimensions sociologiques et psychosociales, la série n'occulte pas non plus les répercussions concrètes de ces violences sur la santé physique et mentale des victimes. Cette attention portée aux victimes se traduit également par des choix esthétiques et narratifs qui participent d'une véritable politique de la représentation.
E. Une esthétique de la résistance et de la réappropriation
Enfin, Querer participe activement à la déconstruction de ce que Laura Mulvey, figure majeure du féminisme anglais, analyse comme le « regard masculin », le male gaze, dans les représentations audiovisuelles.7 Cette notion s'avère prépondérante pour comprendre comment l'image sexualisée de la femme, souvent proposée en position d'extrême vulnérabilité, constitue le symbole d'une domination masculine permanente, intériorisée. En effet, qu'il s'agisse du cinéma ou de l'espace urbain surchargé de messages publicitaires, le male gaze incarne bien souvent cette asymétrie puissante entre la considération du féminin et celle du masculin.8
Au rebours de cette tradition représentationnelle, la série refuse systématiquement la spectacularisation ou la glamourisation de la violence, notamment sexuelle. L'œuvre propose une esthétique de la retenue qui restitue l'agentivité des victimes plutôt que de les réifier en simples objets de compassion. Cette approche visuelle constitue en elle-même un acte de résistance contre les codes narratifs traditionnels. Par conséquent, l'œuvre s'inscrit dans une démarche délibérément pédagogique visant à développer la conscience critique du public face aux mécanismes d'oppression. Elle transcende ainsi le simple divertissement pour participer activement à la transformation des représentations sociales dominantes. L'œuvre s'inscrit dès lors dans une forme de réappropriation féministe des récits. Et sans doute faut-il souligner plus que tout la fait que cette réappropriation ne s'effectue pas par la simplification des enjeux. Au contraire, c'est la complexité du cas, avec ses témoignages contradictoires et son manque de preuves claires, qui place délibérément le spectateur dans une position d'incertitude quant à la vérité des faits. Cette stratégie narrative s'avère particulièrement habile : en effet, le spectateur se retrouve confronté à la même incertitude et à la même ambiguïté que les fils et la cour de justice face aux récits contradictoires de Miren et Iñigo. Cette mise en abyme permet au public d'expérimenter concrètement la complexité des situations de violence conjugale, où l'absence de preuves tangibles ne signifie pas l'absence de violence.
Au terme de cette réflexion, il apparaît que Querer dépasse le cadre du simple récit télévisé : en croisant différentes approches, la série met au jour les mécanismes profonds qui organisent et perpétuent la violence conjugale. Sa force tient à l'articulation entre l'expérience singulière de Miren et les logiques structurelles d'un système qui, tout en proclamant l'égalité femme-homme, perpétue des rapports de domination institutionnels, économiques et culturels. De plus, Querer interroge les conditions mêmes d'une justice véritable : en plaçant le spectateur dans l'incertitude partagée par les protagonistes et les institutions, elle questionne critères de la preuve, valeur du témoignage et biais interprétatifs. Elle invite ainsi à dépasser une approche purement juridique pour envisager une transformation plus profonde des mentalités et des structures sociales. En outre, l'originalité de l'œuvre réside dans sa manière d'inscrire la violence dans le temps long : non réduite à l'acte ponctuel, elle s'impose comme un continuum et se transmet de génération en génération, ouvrant des perspectives nouvelles pour comprendre, mais aussi briser, les cycles de la domination. Enfin, Querer ne se contente pas de documenter un phénomène social : elle propose une véritable pédagogie de l'émancipation. En refusant les facilités du manichéisme comme celles du voyeurisme, elle invite à une réflexion nuancée sur les conditions d'émergence d'une société plus égalitaire. Son apport dépasse dès lors le champ artistique pour nourrir les débats contemporains sur la justice, l'égalité et la transformation sociale.
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