Juin 2025 - N°14

édito

Les 20 ans de la loi Léonetti  : un anniversaire injustement oublié.

Patrick KARCHER,
directeur de l’EREGE

Le 22 avril dernier marquait les 20 ans de la première loi française encadrant la fin de vie. Cet anniversaire est passé inaperçu, effacé par la reprise des discussions en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale des deux nouveaux projets de loi consacrés à la fin de vie. Il aurait pourtant été utile, si ce n’est de commémorer la loi Léonetti, du moins d’en rappeler l’esprit et d’en faire le bilan de sa mise en œuvre. En 14 courts articles, la loi n° 2005-370 a, en effet, profondément modifié le contexte légal de la prise en soins de fin de vie.

La loi définit l’obstination déraisonnable qui est la poursuite ou la mise en œuvre d’actes apparaissant « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » qui « peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris » (Article 1), rompant ainsi avec une logique du soin, inscrite depuis 1947 dans le code de déontologie, de l’obligation du « souci primordial de conserver la vie humaine, même quand il soulage la souffrance ». Cette rupture est encore confirmée par l’article 2, qui priorise en phase terminale ou avancée, d’une affection grave et incurable, le soulagement de la souffrance à la survie à tout prix en autorisant le médecin à appliquer « un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie », selon la règle dite du double effet. L’obstination déraisonnable peut enfin concerner « tout traitement » (article 3) les législateurs entendaient par-là inclure l’alimentation et l’hydratation artificielle.

La détermination de ce qui est une obstination déraisonnable relève prioritairement de la décision du patient par le droit au refus acquis dans la loi Kouchner mais de façon limitée avec l’obligation pour le médecin « si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, (de) tout mettre en œuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables ». La loi Léonetti supprime cette obligation, la remplaçant par celle de l’informer des conséquences de son choix (Article 6) et de réitérer le refus dans un délai raisonnable (Article 4). L’avis de la personne est aussi étendu au-delà de son expression immédiate par la création de directives anticipées indiquant « les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement » si elle est hors d’état d’exprimer sa volonté (Article 7) et le renforcement de l’avis de la personne de confiance dont l’avis « prévaut sur tout autre avis non médical » (Article 8).

Vingt ans après son vote, et à la veille du vote de nouvelles lois, quel bilan peut-on faire des mesures instaurées par la loi Léonetti ?

L’obstination déraisonnable (improprement désigné acharnement thérapeutique dans le débat public) reste une préoccupation majeure des malades et de leurs proches, les soignants étant accusés de la pratiquer encore trop fréquemment. La tendance à la médicalisation de la mort persiste : même si le pourcentage de décès hospitalier a diminué de 5% depuis 2005, c’est du fait d’une augmentation parallèle des décès en Ehpad. Et l’hôpital reste globalement un lieu conçu pour la guérison, accentuant « la valorisation de l’action et du « faire » à tout prix (…) au détriment de l’accompagnement et de la réflexion éthique » 2 . L’accès à une expertise palliative reste insuffisant tant à l’hôpital qu’à domicile.

Le droit au refus est difficilement entendu, souvent ressenti comme une remise en cause de l’expertise soignante et comme une mise en échec de la volonté de soigner… ce qui peut arriver lorsque le soin n’est entendu que comme lutte contre la maladie, négligeant le prendre soin, qui est avant tout une attention portée aux besoins singuliers du patient. Les directives anticipées restent peu nombreuses (moins de 10%) et, lorsqu’elles existent, sont fréquemment peu informatives et sans garantie qu’elles soient libres de contrainte et éclairées par une information adaptée à la situation singulière de la personne qui les rédige.
Même si les nouvelles lois apporteront des améliorations non négligeables des dispositifs initiés par la loi Léonetti, par exemple par la mise en place d’un plan de soins anticipé en complément des directives anticipées, il n’est pas sûr qu’elles améliorent fondamentalement les pratiques. Eviter l’obstination déraisonnable et encore plus l’obstination jugée déraisonnable par le patient relève aussi d’une révolution de la logique de soin, d’une « refondation épistémologique du système de santé, de la médecine et de la formation des acteurs de la santé et du social » telle qu’elle était souhaitée dans l’avis 128 du CCNE . Il faut, pour cela, développer « une clinique moderne de la complexité et de vulnérabilité » en privilégiant la singularité du sujet et l’altérité des situations à la multiplication des normes, en priorisant le travail en équipe, en reconnaissant l’incertitude incompressible de la connaissance et en apprenant à l’affronter, en repensant la notion de performance au profit de la relation soignante plutôt que de l’acte de soin. En somme, il s’agit de rappeler que l’accompagnement est une forme à part entière du soin plutôt qu’une pratique par défaut… et de la valoriser.

Définition

Explication d'un thème lié au questionnement éthique

Yves ALEMBIK, président du conseil d’orientation du site alsacien

La norme en santé et en santé mentale

Définir ce qui est normal en santé est une tâche complexe, controversée, et parfois périlleuse. Car la norme est intimement liée à l’époque, à la culture et aux avancées scientifiques.

La norme en santé fait référence à un ensemble de critères, de règles et de repères qui définissent ce qui est considéré comme normal ou acceptable. Elle est établie par des organismes de santé ou des autorités gouvernementales, et vise à encadrer les pratiques, les soins, les comportements et les politiques sanitaires. Fondée sur des données scientifiques et des connaissances médicales contemporaines, elle fixe des standards en matière de soins appropriés et efficaces, de santé publique, de sécurité alimentaire, d'hygiène et de prévention.

Définir ce qui est normal en santé — et en particulier en santé mentale — est une tâche complexe, controversée, et parfois périlleuse. Car la norme est intimement liée à l'époque, à la culture et aux avancées scientifiques. La tendance actuelle est sans conteste à la médicalisation croissante de la santé mentale. Il devient difficile de tracer une frontière claire entre ce qui relèverait d'une variation normale et ce qui constituerait un trouble pathologique authentique.

À ce propos, l'éclairage du philosophe Georges Canguilhem, figure majeure de la pensée médicale au XXᵉ siècle, est précieux. Il a profondément interrogé le lien entre le normal et le pathologique. Pour lui, la norme ne peut se réduire à un idéal, à un standard fixe ou à une simple moyenne statistique. Elle est fondamentalement liée à la vie, à la capacité d'un organisme à s'adapter dans des contextes spécifiques. Canguilhem insiste sur la subjectivité du pathologique. Il affirme que les concepts de normal et de pathologique ne peuvent être définis de manière purement quantitative ou statistique. Ce sont des notions qualitatives, toujours dépendantes du contexte et de l'expérience vécue. La norme devient ainsi une réalité dynamique, évolutive et créative. Elle varie selon les situations, et correspond à un principe de régulation fondé sur l'équilibre précaire mais vivant entre les multiples possibles du corps et de l'individu.

Contrairement à la machine, l'être humain peut surmonter ses faiblesses. Il peut tomber malade — et s'en sortir. La maladie devient alors une forme d'adaptation, une réorganisation qui permet à l'organisme de retrouver un équilibre. Le normal et le pathologique participent d'un même processus de réajustement permanent. Ce nouvel équilibre peut, pour un individu, devenir une norme relative qui lui est propre.

À l'échelle de la société, les critères de ce qui est normal ou pathologique varient selon les contextes culturels. Ce qui est jugé pathologique ici peut apparaître comme une simple différence ailleurs. Autrement dit, la santé et la maladie ne sont pas des états purement objectifs, mais aussi des jugements de valeur. Et ces jugements influencent les décisions médicales et les traitements proposés.

Dès lors, imposer des normes rigides à chacun devient problématique. La conformité ne saurait être confondue avec la normalité.

C'est ce que souligne également Michel Foucault. Dans Surveiller et punir, il décrit la norme comme un outil de contrôle social. Il montre comment les sociétés ont développé des systèmes complexes de surveillance et de normalisation des individus, y compris dans le champ médical. La norme en santé, imposée par les institutions, sert à classifier, à réguler les comportements humains. Elle peut aussi limiter la capacité des individus à définir ce qui est normal pour eux-mêmes.

En définitive, la norme en santé ne peut être pensée comme un modèle unique et universel. Elle est multidimensionnelle : biologique, sociale, culturelle, subjective, individuelle. Elle constitue à la fois un outil de régulation et un processus d'adaptation. C'est parce qu'elle est vivante et relative qu'il est essentiel de la questionner.

presse

Les articles scientifiques ou grand public qui posent des questions éthiques

Dr Patrick Karcher, directeur de l'EREGE et Pr Gérard Audibert, directeur du site d’appui lorrain

Le don de plasma Avis 146 du CCNE : un cadre éthique renforcé pour répondre aux enjeux sanitaires et sociétaux

Gérard Audibert

Face à la pénurie de plasma : le Comité consultatif national d'éthique rappelle le principe de gratuité des dons

Pourquoi cet avis ?

  • En France, la filière plasma dysfonctionne. L’Etablissement Français du Sang, établissement public ayant le monopole du prélèvement, est en déficit financier sur cette activité. Le Laboratoire Français du fractionnement et des Biotechnologies, seul habilité à fractionner le plasma français, est soumis à une forte concurrence internationale pour les médicaments dérivés (MDS) du plasma qui sont des médicaments.
  • La France n'est pas auto-suffisante (70% du plasma est importé) :
    • La demande en MDS augmente
    • parce que la population de donneurs ne se renouvelle pas
  • La dépendance de pays étrangers pour les MDS pose un problème d’approvisionnement en cas de crise sanitaire (observé au cours de la pandémie Covid) ou géopolitique.
  • Les pays à qui nous achetons le plasma pratiquent, pour certains, le don rémunéré. Ceci soulève un problème éthique dans un pays attaché au principe du don gratuit.
  • Une nouvelle directive européenne (dite SoHO pour substances of human origin) propose que le don soit à « neutralité financière », avec dans de nombreux pays, une rémunération du don.

Le CCNE formule cinq propositions :

  • Améliorer la communication grand public sur l’utilité du don de plasma, à l’image de ce qui est fait sur le don du sang (Objectif : augmenter le pool de donneurs)
  • Optimiser la filière plasma en France tant au niveau de la collecte (développer une politique d’aller vers, majorer le tarif de cession du plasma) que du fractionnement
  • Respecter un équilibre fragile en le don gratuit réaffirmé et le principe de neutralité financière autorisant des compensations de frais de déplacement et/ou de repas
  • Reconnaitre l’engagement des donneurs de plasma
  • Encadrer la prescription de MDS et rappeler les nécessités de respect des recommandations de la Haute Autorité de Santé, afin d’éviter un mésusage et par là un gaspillage d’une ressource rare.
    Le CCNE réaffirme les trois valeurs fondamentales du don en France : altruisme, volontariat et gratuité.

Le CCNE réaffirme les trois valeurs fondamentales du don en France : altruisme, volontariat et gratuité.

événements

Un retour argumenté sur les manifestations réalisées ou soutenues par l’EREGE

Laure Pesch, coordinatrice du site d’appui alsacien

A votre santé ! le mois de la santé et de la recherche médicale

04/03/2025

Du 1 er au 31 mars 2025 s’est déroulé dans tout le Grand Est « A votre santé ! » Les trois sites d’appui de l’EREGE ont chacun été partenaire de cette huitième édition du mois de la santé et de la recherche médicale.

A votre santé ! le mois de la santé et de la recherche médicale

https://www.accustica.org/expos-ressources/podcasts/echo-des-savantes/

Du 1 er au 31 mars 2025 s’est déroulé dans tout le Grand Est « A votre santé ! » Les trois sites d’appui de l’EREGE ont chacun été partenaire de cette huitième édition du mois de la santé et de la recherche médicale. L’autonomie des personnes en situation de handicap, l’humain augmenté et la maladie d’Alzheimer, ont été les thèmes de cette collaboration.

Réalisation du podcast « L’écho des savantes : autodétermination des personnes en situation de handicap »

Depuis 2022, l’association de médiation scientifique et culturelle Accustica propose une série de podcasts, enregistrés par Radio Jeunes Reims, intitulée « L’écho des Savantes », qui donne la parole à des femmes scientifiques et professionnelles de santé.

Une série sur le thème de l’autodétermination des personnes en situation de handicap a cette année été enregistrée en partenariat avec le site champardennais de l’EREGE. Les témoignages de Céline Martin (résidente du foyer La Baraudelle), Delphine et Virginie (éducatrices au sein du même foyer), et d’Amandine Andruchiw (coordinatrice du site Champagne-Ardenne de l’EREGE et docteure en philosophie) sont ainsi présentés.

Cinq épisodes d’environ 6 minutes chacun, permettent aux intervenantes de partager leurs expériences et réflexions sur l’importance de l’autodétermination pour les personnes accompagnées, notamment dans le domaine de la santé. Leurs échanges illustrent de quelles manières l’autodétermination contribue à renforcer la confiance en soi et à améliorer la qualité de vie, tant au travail que dans la vie personnelle. Elles soulignent également la nécessité d’un accompagnement bienveillant et individualisé, ainsi que le rôle essentiel des professionnels dans l’émancipation des personnes concernées.

Les épisodes de la série :

  • Épisode 1 : Autodétermination : définition et enjeux
  • Épisode 2 : Comment définir l’autonomie ?
  • Épisode 3 : Confiance en soi et estime de soi
  • Épisode 4 : Les outils de l’autodétermination
  • Épisode 5 : Freins et leviers
Pour écouter le podcast et découvrir les autres thématiques abordées par « L’écho des Savantes », y compris celles des précédentes éditions, rendez-vous sur le site d’Accustica : https://www.accustica.org/expos-ressources/podcasts/echo-des-savantes/

Table ronde L’humain augmenté : une réalité

Alors que les promesses d’augmentation de l’humain émergent dans l’actualité, le site d’appui lorrain a trouvé pertinent de développer deux axes illustrant la manière dont la médecine intègre actuellement les progrès technologiques.

La robotique occupe désormais une place de choix dans les blocs opératoires, permettant des interventions plus précises et des suites opératoires plus simples pour les patients concernés. Par ailleurs certaines interventions ne sont plus réalisées par le chirurgien seul : les étudiants étant formés à utiliser exclusivement le robot. Le robot ne répond actuellement qu’à la commande humaine mais le futur permettra-t-il à ce dernier de prendre des décisions et de les mettre en œuvre ?

Dans un autre registre, des implants sont intégrés au cerveau afin de combattre certains symptômes invalidants de la maladie de Parkinson. Les critères d’inclusion des patients sont très restrictifs afin de ne pas favoriser d’effets secondaires parfois graves (dépenses compulsives et désinhibition sexuelle notamment) ; sur cette thématique les questions éthiques sont également centrales, notamment en lien avec la modification de la personnalité des patients, le recueil d’informations intégrées par le stimulateur pour l’adaptation de son fonctionnement, la dépendance du patient à un matériel et à sa mise à jour.

La mise en scène proposée par la troupe de théâtre des Once a poney time est venue questionner ces différents axes, le versant médical étant développé lors de cette table ronde modérée par Bénédicte Thiriez, coordinatrice du site d’appui lorrain de l’EREGE, par les professeurs Sophie Colnat, neuro chirurgienne et Pascal Eschwege chirurgien urologue.

Ciné débat autour du film The father

Les organisateurs ont proposé au site d’appui alsacien d’aborder la question du grand âge et de la maladie d’Alzheimer dans le cadre d’un débat organisé au cinéma le Bel Air à Mulhouse suite à la projection du film « The father » de Florian Zeller.

Ce film raconte l’histoire d’Anthony atteint de la maladie d’Alzheimer en se plaçant de son point de vue déformé par les troubles de la mémoire créant des illusions et des fausses reconnaissances et aboutissant à un sentiment d’étrangeté voire de complot de la part de sa fille et de son entourage.

Le film mettant en lumière les difficultés et les souffrances vécues à la fois par les malades et leurs aidants, a permis d’ouvrir avec M Patrick Karcher, directeur du site alsacien de l’EREGE, un débat riche abordant les tensions éthiques rencontrées dans l’accompagnement de la maladie : intérêt et limites d’un diagnostic précoce voire d’un dépistage systématique de la maladie, annonce au malade et à ses proches, traitements innovants couteux et d’efficacité encore limitée, soutien sociétal aux aidants, obstination déraisonnable et fin de vie…

Perte de sens dans le soin : comprendre et agir

Retour sur la journée annuelle d’étude en éthique du site alsacien de l’EREGE. Comprendre les mots, leur acceptation et entendre des témoignages d’expériences mises en place pour agir.

La journée annuelle d’étude en éthique organisée le 6 mars dernier par le site d’appui alsacien à Colmar avait cette année pour thème « Perte de sens dans le soin ? Comprendre et agir ». L’objectif de cette rencontre était de saisir ce qui peut se cacher derrière ce mot quelque peu galvaudé de sens dans le travail et de proposer des pistes d’action aux quelques 80 professionnels du soin présents. Le directeur de l’EREGE, M Patrick Karcher, dans son introduction, puis la troupe de théâtre « Catégorie libre » ont ainsi joué avec ce mot, pour mettre en perspective ses multiples utilisations.

Si le Dr Magdeleine Ruhlmann, ancien médecin inspecteur régional du travail a montré ce que la psychodynamique du travail permet de comprendre des enjeux qui sont à l’œuvre dans les notions de plaisir et de souffrance au travail, Mmes Alice Deleglise (le design de service en santé), Hélène Gebel (la réflexion éthique face à la perte de sens au travail) et M Marc Berthel (partager le sens pour donner le goût des métiers du soin au collège) ont pour leur part partagé leurs expériences qui visent chacune à contribuer à la valorisation du sens du travail et des métiers du soin.

L’après-midi s’est poursuivie avec une conférence de M Roland Gori, professeur honoraire de psychopathologie à Aix Marseille Université, psychanalyste, membre de l’Espace Analytique, président de l’Appel des appels, essayiste sur le thème : le soin psychique est-il encore possible dans le contexte actuel ?

Chaine Youtube de l'EREGE

Ressources documentaires

media

Des liens vers des émissions TV, radios, podcast, webinaires, conférences... intéressants du point de vue éthique

Bénédicte Thiriez, coordinatrice du site d'appui lorrain

Vidéo

Apple Cider Vinegar

Une série de Netflix inspirée d’une histoire vraie, qui aborde le sujet des prises en charges alternatives à la médecine notamment dans le cas du cancer. De jeunes influenceuses utilisent leur portée médiatique pour inciter des malades du cancer à stopper leurs traitements médicaux et les remplacer par des méthodes n’étant pas vérifiées scientifiquement. La bande annonce : https://youtu.be/0hQYHpOB-ww?feature=shared

Pour compléter, un épisode très intéressant de la Tronche en Biais sur le même sujet : comment vérifier au mieux ses sources pour avoir une alimentation bonne pour sa santé ? Alimentation et bullshit !

Bande annonce

Alimentation et bullshit

Video

Black Mirror – Des gens ordinaires

Un épisode de la série dystopique de Netflix nous propose de réfléchir sur le sujet de l’hybridation cerveau machine. Une évolution nécessaire pour permettre à certaines personnes comateuses de revivre une vie normale mais à quel prix ? Ce progrès scientifique est proposé par une firme commerciale dont l’objectif est l’unique profit au mépris de la santé et de la qualité de vie de ceux qu’elle a désormais sous son joug. Pour compléter, une table ronde sur LCP Assemblée nationale : https://youtu.be/fOPVM2EX6Xo?feature=shared qui met au centre de la réflexion augmentation, réparation de l’être humain en faisant la part des choses entre ce qui est possible et ce qui reste de l’ordre du fantasme en France comme à l’étranger.

L'homme machine | Ces idées qui gouvernent le monde

Video

Arte - Avec toi pour toujours

L’intelligence artificielle permet désormais d’échanger via des chatbots avec des simulateurs de personnes décédées. Comment s’y prend l’IA pour répondre aux proches à la manière du défunt ? Comment se développe le marché de la « postérité numérique » ? Que recherchent les personnes qui font appel à ces services pour interagir avec les avatars de leurs proches ? Quels liens ont ces expériences avec la réalité ? Quels sont les objectifs de ces IA ? Quelles conséquences pourraient avoir l’intervention des personnes décédées dans la vie des personnes aujourd’hui ? Autant de questions auxquelles tente de répondre ce documentaire.

https://www.arte.tv/fr/videos/100252-000-A/avec-toi-pour-toujours/

Video

M6 + - Santé Menale nos ados en danger (replay en accès gratuit)

Les ados ne vont pas bien ! Un jeune Français sur deux souffre d’anxiété ou de symptômes dépressifs. La société peine à prendre la mesure de la détérioration de la santé mentale de toute une génération, celle qui construit son avenir. Face à cette souffrance qui conduit certains à la déscolarisation, au repli et au passage à l’acte, les familles en premier lieu sont démunies et souvent seules tant les possibilités de prise en charge restent étriquées (manque gravissime de pédopsychiatres 600 actuellement en activités pour 3 millions de jeunes concernés et une absence d’appétence pour cette spécialité médicale chez les étudiants), les lieux dédiés rares et mal répartis sur le territoire. Ce reportage apporte son éclairage dissonant en cette année où la grande cause nationale est la santé mentale !

https://www.m6.fr/sante-mentale-nos-ados-en-danger-p_26999

culture

Tour d’horizon d’œuvres qui nous permettent d’aborder des questionnements éthiques de manière singulière

Laure Pesch, coordinatrice du site d'appui alsacien

 

Culture
Lecture : Roman autobiographique

Où vont les larmes lorsqu’elles sèchent

Baptiste Beaulieu, Ed. Le livre de poche Collection proche, 2024, 227 pages

Dans ce roman autobiographique, Baptiste Beaulieu incarne le rôle de Jean, jeune médecin généraliste dans un désert médical du sud de la France, qui a perdu sa capacité de pleurer lors de l’un de ses stages à l’hôpital. A travers différentes situations de prises en soins de patientes et patients, Jean se confronte à l’humain, à sa nécessité d’être pris en considération (à travers ses symptômes notamment) et de compter. Jean raconte comment dans son cabinet à la salle d’attente bondée, derrière son bureau et habillé comme ses patients, il construit une relation de soins beaucoup moins asymétrique que celle qui se joue à l’hôpital : en toute horizontalité. Les rapports de pouvoir s’éloignent de sa pratique pour laisser une place privilégiée à l’humain, à chaque histoire, à chaque combat, à chaque vulnérabilité, y compris la sienne. « Notre métier est plus beau quand on y reconnaît nos failles. » p117. « L’arrivée au cabinet médical m’aide rapidement à gommer l’asymétrie entre soignants et soignés : déjà M. Soares s’appelle M. Soares, pas « le diabétique de la 2, et la première fois que je le rencontre il arrive sur ses deux jambes, pas allongé sur un brancard ou tout nu sous une blouse pendant qu’on défilerait avec quatre ou cinq confrères, des sachants, debout devant son lit, causant de son cas comme s’il n’était pas présent dans la pièce. Et puis l’hôpital, c’est une autre affaire : on y meurt, alors tout paraît grave (certes). […] A l’hôpital, les soignants connaissent votre dossier quand vous ne savez rien d’eux. Dans nos cabinets de petites villes, les malades ont tôt fait de se renseigner sur votre CV. […] Au cabinet, la rencontre est moins inégale. Et donc plus propice à l’échange. C’est du « un contre un » (ou mieux même : « un avec un »). » p35. C’est à l’intérieur de ce cabinet que chacun peut enfin pleurer, se confier sur les difficultés qu’il rencontre dans sa maladie ou dans son rôle d’aidant. Dans cet ouvrage politique, Baptiste Beaulieu aimerait réconcilier définitivement soignants et patients, dépasser les jugements et les injonctions au cœur de nombre de relations de soins. Dans les situations décrites, Baptiste Beaulieu aborde la souffrance, la fin de vie, le deuil et les violences intrafamiliales depuis la relation de proximité que Jean cultive avec les patients. « Avant, j’étais un jeune con, eh bien je continue, je crois. Parce que je me suis senti sacrément bête. En ce bas monde, les douleurs ne se chassent pas les unes les autres. Elles ne s’excluent pas. Elles s’additionnent et s’accumulent. La souffrance d’un père veuf devant gérer seul le lourd handicap de sa fille n’est pas supérieure à celle d’une malade du cancer. Les souffrances ? Elles ne se comparent même pas. Elles sont là l’une et l’autre, ces fichues douleurs. Tout le monde a mal. Et tout le monde souffre. Du Nord au Sud. Aucune souffrance ne l’emporte sur une autre. Elles échappent à tout compte d’apothicaire. Elles sont chacune des voyages solitaires et elles se vivent, chacune, solitairement. » p135. En l’accompagnant, on perçoit son empathie et son écoute, nécessaires à une coopération, un accordage même avec les personnes qu’il soigne, bien au-delà de ce qu’il a appris dans son long cursus pour devenir médecin, il lui faut être humain et entrer dans une réelle relation avec autrui : décrypter et comprendre avec humanité et bienveillance pour soigner efficacement. « Dans les livres de cardiologie, de psychiatrie, de rhumatologie, etc…, les maladies provoquent des symptômes typiques, et les malades présentent typiquement ces symptômes. Tout est bien dans le meilleur des mondes. Mais voilà, les livres et les cours ne sont pas la vraie vie. Ce serait trop facile sinon. Trop évident. Dans la vraie vie, il y a des patients avec leurs propres langages, qu’influencent l’expérience et la culture, les soignants avec leurs filtres de compréhension, leurs préjugés, et les corps qui s’expriment beaucoup, mais trop peu souvent comme dans les livres, hélas. » p152. Cette relation de confiance ne va pas de soi, Jean la construit consultation après consultation : « Quel chemin parcouru avec Virginie ! Il a fallu qu’on s’apprivoise. Qu’elle m’accorde sa confiance. Une astuce qui réussit à chaque coup, j’ai remarqué, c’est, je cherche le terme qui convient, de respecter les gens. Voilà ! Fou comme ça fonctionne de ne pas les considérer tel un bout de viande qu’on palpe, soupèse, ausculte, mais de vraiment les voir, je cherche le terme qui convient là encore, comme des êtres humains ? Suffisait d’y penser ! Avec Virginie, ce qui a consolidé son sentiment de sécurité, c’est quand je lui ai demandé : « Vous voulez bien que je vous examine ? », alors qu’elle venait juste pour une angine. Elle a dû se dire : « S’il me demande pour ça pour regarder dans ma gorge, il me le demandera pour le reste. » Elle n’avait pas tort. Je demande tout le temps, pour tout, et pas seulement pour le reste. […] Il existe des tas de métiers où tu n’as même pas besoin de parler aux gens si tu ne les aimes pas. Nous, on choisit celui où on doit leur parler ET en plus les toucher.» p160. L’auteur exprime aussi sa révolte et sa colère dans des situations face auxquelles il est impuissant. Il évoque l’humilité et l’authenticité nécessaires dans la relation aux patients : « C’est compliqué, ça, le rapport à l’autre. A sa peau. A son altérité. A ses fluides. A sa maladie. Au mystère de sa corporalité. De son incarnation. On n’est pas là pour se pincer le nez. L’être humain, on met les mains dedans. Je n’ai jamais mis de gants pour toucher la peau des patients. Si y a du gros furoncle qui tache, évidemment, mais pour toucher la peau de l’Autre, non, mais pour examiner une articulation, non. La blouse, puis le masque, puis les gants, la calotte et les lunettes, vous feriez confiance à un médecin qui pose autant de barrières entre son corps et le vôtre, vous ? Rien de ce qui est humain ne saurait vous être étranger. Toucher le corps du patient, toucher là où il a mal, c’est une manière de dire « je m’approche de ce que vous êtes et de ce dont vous souffrez » ». p208. Baptiste Beaulieu utilise des mots simples pour revenir à l’essentiel de ce qui constitue le soin. Un récit imprégné de vécu, de pratique, et un savoir-être de médecin évident sur le papier mais parfois bien loin de l’exercice clinique. Un retour sur les essentiels pour questionner notre quotidien de soignant, d’humain prenant l’Autre en soin. Une introduction à la réflexion sur les pratiques.

Recension : Bénédicte Thiriez

Lecture Roman, fiction dystopie

Corpus Delecti

Juli Zeh (traduit de l’allemand), Ed. Babel, 2009, 239 pages

Roman d’anticipation et roman politique, cette fiction de Juli Zeh, nous emmène dans une société (nous sommes en 2057) où toutes les pollutions, les virus et autres maladies ont été éradiquées selon le principe de « la Méthode ».

La Méthode poursuit un but qui «est de garantir à chaque individu la vie la plus longue et la moins détraquée possible, c’est à dire une vie saine et heureuse. Exempte de souffrance et de douleur » (p.37). Ses moyens ? Un hygiénisme forcené qui repose à la fois sur le contrôle sanitaire instantané des individus (via une puce implantée qui détecte l’effort physique, la consommation de café, le respect de la consommation des nutriments…) et une démocratie participative qui incline chacun à assurer les tâches de prophylaxie hygiénique, et parfois à dénoncer. Car une seule personne enfreignant la règle commune pourrait contaminer l’ensemble du corps social et son harmonie.

Ici le contrôle de la santé des individus n’a pas pour objet l’idée d’une race supérieure mais le contrôle total des corps biologiques qui ne doivent souffrir d’aucune maladie car « la santé conduit, par le perfectionnement de l’individu, à la perfection de la communauté sociale » (p.9) L’origine posée de cette utopie politique date « [du] jour où ce pays a eu l’idée qu’il ne pouvait plus s’offrir le luxe de toutes ces maladies individuelles » (p.80). Prévenir par l’asservissement des corps, leur contrôle absolu : « Le corps est une machine, un appareil de locomotion, d’ingestion de nourriture et de communication dont la mission se résume à un fonctionnement impeccable » (p.78).

La considération de l’homme est ravalée à son fonctionnement biologique, tout sentiment, émotions, croyances éradiquées comme autant de maladies car « Les maladies de l’esprit […] sont tout aussi dangereuses que les maladies du corps » (p.96). Le corps n’appartient plus aux individus, ils n’en ont plus la maîtrise. Comment être maître du jeu de sa vie quand même la recherche d’une ou d’un partenaire repose sur un appariement contrôlé, fondé sur des données normées et raisonnées, la compatibilité immunologique ?

Mais comment arrêter de penser ? C’est la question que pose Mia le personnage principal « L’esprit ne saurait intimer à l’esprit l’ordre de ne pas penser » (p.79) quand elle doit faire face à un deuil et que prise dans les filets de la justice, pour non observance de ses obligations sanitaires, elle ose demander que le système la laisse tranquille et revendique pour ce faire le droit de souffrir « Pour moi, ma douleur relevait de la sphère privée » et s’insurge contre « Une société qui a trahi l’esprit au profit du corps » (p.173)

Son personnage est ce petit grain de sable qui oblige à un pas de côté dans cette machine étatique bien huilée. Si la raison érigée en dogme social et politique peut sembler garantir la paix sociale, on voit au fil des pages qu’elle ne peut éteindre chez tous la nécessité d’être, d’être un esprit, une pensée, un désir. La santé est un bien précieux, quel est son prix ? Peut-il être celui de la liberté, cette vieillerie réactionnaire ? C’est ce dilemme qu’exprime Mia avant de se rebeller « Ta fameuse maîtrise pleine et entière prend fin à l’endroit exact où ton corps rend les armes. Tu vis ta prétendue liberté sur les solides fondations de la sécurité collective et tu agites l’étendard de tes propos guerriers en laissant à d’autres le soin de régler tes factures. Comment oses-tu appeler liberté ce qui n’est que lâcheté ? » (p.91)

Soutenue par la force de sa douleur qu’elle estime lui appartenir, lui appartenir à elle seule, qu’elle estime ne pas être une maladie à éradiquer, sa capacité à penser par elle-même, son autonomie vont croître au fil des pages, se construire au cours d’un procès malintentionné et manipulé. Lorsqu’elle sort de l’ébahissement protecteur d’un Etat asservissant, et reprend en main sa capacité à être, elle conclut dans un plaidoyer pour sortir libre et victorieuse retirer sa confiance à « un corps qui n’est pas ma chair et mon sang, mais censé incarner l’idée que la collectivité se fait d’un corps normal. […], une santé qui se définit elle-même comme la normalité. […] je retire toute confiance au bien-être collectif, parce qu’il considère les choix personnels comme des postes de dépenses inacceptable. » « Je retire toute ma confiance à un Etat qui sait mieux que moi ce qui est bon pour moi » (P.174)

Recension : Laure Pesch

Lecture 

Décision médicale et travail du soin

Ed. Doin, Coll. La personne en médecine, 2025, 139 pages

Ce livre, issu de la thèse de l’autrice, traite de la construction et de la visée de la décision médicale dans le contexte actuel marqué par la multiplication des situations complexes, des maladies chroniques et un environnement normatif au croisement des recommandations issues de la médecine fondée sur les preuves et des obligations légales de la prise en compte de l’avis du patient. Il fait suite à un travail de terrain dans un service de médecine interne.

Dans une première partie, Agathe Camus analyse le concept d’autonomie rappelant qu’il n’est pas univoque, tour à tour assimilé à la liberté, à la dignité, à l’intégrité, à l’individualité, à l’indépendance, à la responsabilité .... Elle insiste également sur les multiples usages médicaux du terme d’autonomie : autonomie de décision mais aussi autonomie (fonctionnelle) opposée à la dépendance, et autonomie-empowerment, injonction faite au malade d’appropriation de sa maladie. Elle analyse les critiques faites à l’autonomie, passée du statut de revendication à celui d’injonction. Illusion idéaliste excluant une partie de la population et ne tenant pas compte des dépendances intersubjectives et contextuelles fondamentales : l’autonomie, à l’épreuve de la maladie et du soin est incertaine, partielle, et doit être soutenue par la relation. Agathe Camus analyse ensuite la mutation, liée à l’augmentation des connaissances, de la décision du médecin à une décision collective, au travers des réunions pluriprofessionnelle mais aussi des recommandations et référentiels issus notamment de la médecine fondée sur les preuves (Evidence based medicine-EBM). Cette évolution conduit à minimiser l’expertise et le jugement clinique du médecin mais aussi l’avis du patient. Elle exclut aussi de nombreux patients âgés multimorbides pour lesquels il n’y a pas de données probantes. Un équilibre reste à trouver entre données probantes, jugement et expérience du praticien et préférences et valeurs du patient.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Agathe Camus analyse des situations de soins complexes rencontrées en médecine interne et étudie le travail dans « l’espace de décision médicale » défini comme le savoir disponible et les possibilités matérielles, économiques et sociales, offertes aux personnes qui doivent prendre une décision.
Ces situations sont marquées par l’incertitude remettant en cause la vision linéaire de la décision fait-valeur-action en faveur d’un « rafistolage partagé » ; décider, faire, ajuster étant intriqués, notamment dans des situations d’urgence Polypathologie, multimorbidité, comorbidité, situation sociale… sont autant de facteurs de complexité diagnostique, thérapeutique, éthique (adaptation permanente des fins et moyens) et organisationnelle (multiples spécialités impliquées). L’autrice envisage la décision médicale comme travail de soin, décentrant la question de la prise de décision pour soi-même du seul critère de compétence au profit d’un espace de décision que l’incertitude, les conditions socioéconomiques, structurelles ou organisationnelles peuvent nettement réduire. Face aux contraintes multiples rencontrées, un travail commun partagé est nécessaire pour maintenir une certaine latitude de décision en jouant sur les contraintes, en essayant d’en limiter la portée. Cela passe aussi par un ajustement permanent des fins et des moyens, en évitant un activisme uniquement centré sur le curatif.

La troisième partie s’intéresse au concept de fragilité, exemple paradigmatique d’états-limites, de « chronicités instables », de bascule entre santé et maladie mais aussi entre chronique et aigu. La fragilité est une incapacité à répondre aux variations, aux agressions du milieu, et dépend donc aussi bien des ressources internes que des ressources externes (sociales, économiques…). Il persiste chez le sujet fragile une certaine latitude de vie, « car capable de marges de capacité, d’action, de décision, ces états ne sauraient se réduire à des « vies pathologiques » ». Le soin consiste dans ces situations à un « réaménagement du milieu » permettant au sujet de retrouver cette « certaine latitude de vie ». Pour développer le concept de latitude de vie l’autrice se fonde sur les travaux de Georges Canguilhem, partant de la notion de normativité vitale, capacité d’un individu, à instituer, face aux altérations et aux variations du milieu, de nouvelles normes de vie. La fragilité est certes un rétrécissement de la latitude de vie, mais le fragile continue à produire, compte tenu des contraintes de la maladie et de la société, sa norme de vie, une vie qu’il jugera comme appréciable, comme « normale » pour lui. Elle empreinte aux travaux de Kurt Goldstein sur les cérébrolésés de première guerre, la notion de « réaménagements du milieu », conception dynamique de la relation de l’organisme et du milieu. Thérapeutiques, modification du mode de vie, usage de dispositifs médicaux, aménagement de l’espace, reconfiguration des relations sociales, toutes les conditions permettant au malade de composer avec le milieu environnant, avec le monde et les autres. Mais ce rétrécissement du milieu, nécessaire, ne doit néanmoins pas dépasser ce que le malade peut supporter : c’est la tâche du soin de maintenir une certaine marge dans ce rétrécissement en maintenant une capacité à choisir ce que la personne accepte de perdre comme latitude pour moins souffrir.

En conclusion : la multiplication des maladies chroniques, des situations complexes au carrefour de l’aigu et du chronique modifie la logique décisionnelle et thérapeutique, de la gestion de crise propre à l’aigu à une médecine envisagée comme soutien de la vie avec la maladie. La visée du soin doit intégrer cet arrière-fond chronique pour appréhender les situations dans lesquelles « la santé (ne peut) être conçue comme absence de maladie et l’autonomie comme absence de dépendance » : des possibilités de vie persistent et doivent être développées et soutenues ; il persiste des latitudes de vie dès lors que l’on réaménage le milieu. Cette médecine d’accompagnement est une forme à part entière du soin plutôt qu’une pratique par défaut.

Recension : Patrick Karcher

Essai

L’éthique managériale des cadres de santé

Angélique Maquart, Ed. Seli Arslan, 2024, 178 pages

Analyse de terrain et réflexion sur l’évolution de la fonction de cadre de santé à l’hôpital et proposition d’actions pour améliorer la qualité de vie au travail et la prise en soin des patients.

Angélique Maquart est actuellement coordinatrice de la démarche éthique du CHU de Reims et de l’UFR de médecine de l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Elle est titulaire d’une thèse de doctorat en sciences de gestion et du management. Son livre s’appuie d’une part sur son expérience de soignante, puis de cadre de santé et, d’autre part, sur des interviews de plusieurs cadres de santé. Elle rappelle l’évolution du management au sein de l’hôpital, avec la mise en place progressive, à partir des années 1980, du modèle du secteur privé et du New Public Management. L’objectif de l’époque était l’optimisation des profits, une recherche de performance d’efficience et d’efficacité. Ceci s’est traduit par la mise en place d’une nouvelle organisation, tels que les pôles d’activité, la tarification à l’activité, la création d’agence régionale de santé, l’affirmation de la contractualisation, la refonte territoriale, avec la création des groupements hospitaliers de territoire. A. Maquart montre comment cette nouvelle organisation a entraîné une évolution de la fonction du cadre, avec un emploi du temps de plus en plus occupé par les tâches administratives et gestionnaires, au détriment d’un véritable rôle d’encadrant de proximité des professionnels et des activités de soin. Les témoignages des cadres sont extrêmement intéressants et montrent les difficultés qu’ils rencontrent pour trouver un équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle, entre les contraintes de la direction et la souffrance des soignants. Ils montrent comment des changements organisationnels aboutissent à des situations paradoxales, délétères pour la vie quotidienne des patients. A. Maquart propose d’apporter un regard éthique sur le management, en plaçant le patient au centre d’une réflexion éthique en équipe. L’instauration d’une réflexion éthique dans les démarches les plus élémentaires du soin, mais aussi de l’organisation des équipes soignantes, améliore à la fois la qualité de vie au travail des soignants et la qualité de la prise en charge des patients.

Recension : Christophe De Champ