La norme en santé et en santé mentale
Définir ce qui est normal en santé est une tâche complexe, controversée, et parfois périlleuse. Car la norme est intimement liée à l’époque, à la culture et aux avancées scientifiques.
La norme en santé fait référence à un ensemble de critères, de règles et de repères qui définissent ce qui est considéré comme normal ou acceptable. Elle est établie par des organismes de santé ou des autorités gouvernementales, et vise à encadrer les pratiques, les soins, les comportements et les politiques sanitaires. Fondée sur des données scientifiques et des connaissances médicales contemporaines, elle fixe des standards en matière de soins appropriés et efficaces, de santé publique, de sécurité alimentaire, d'hygiène et de prévention.
Définir ce qui est normal en santé — et en particulier en santé mentale — est une tâche complexe, controversée, et parfois périlleuse. Car la norme est intimement liée à l'époque, à la culture et aux avancées scientifiques. La tendance actuelle est sans conteste à la médicalisation croissante de la santé mentale. Il devient difficile de tracer une frontière claire entre ce qui relèverait d'une variation normale et ce qui constituerait un trouble pathologique authentique.
À ce propos, l'éclairage du philosophe Georges Canguilhem, figure majeure de la pensée médicale au XXᵉ siècle, est précieux. Il a profondément interrogé le lien entre le normal et le pathologique. Pour lui, la norme ne peut se réduire à un idéal, à un standard fixe ou à une simple moyenne statistique. Elle est fondamentalement liée à la vie, à la capacité d'un organisme à s'adapter dans des contextes spécifiques. Canguilhem insiste sur la subjectivité du pathologique. Il affirme que les concepts de normal et de pathologique ne peuvent être définis de manière purement quantitative ou statistique. Ce sont des notions qualitatives, toujours dépendantes du contexte et de l'expérience vécue. La norme devient ainsi une réalité dynamique, évolutive et créative. Elle varie selon les situations, et correspond à un principe de régulation fondé sur l'équilibre précaire mais vivant entre les multiples possibles du corps et de l'individu.
Contrairement à la machine, l'être humain peut surmonter ses faiblesses. Il peut tomber malade — et s'en sortir. La maladie devient alors une forme d'adaptation, une réorganisation qui permet à l'organisme de retrouver un équilibre. Le normal et le pathologique participent d'un même processus de réajustement permanent. Ce nouvel équilibre peut, pour un individu, devenir une norme relative qui lui est propre.
À l'échelle de la société, les critères de ce qui est normal ou pathologique varient selon les contextes culturels. Ce qui est jugé pathologique ici peut apparaître comme une simple différence ailleurs. Autrement dit, la santé et la maladie ne sont pas des états purement objectifs, mais aussi des jugements de valeur. Et ces jugements influencent les décisions médicales et les traitements proposés.
Dès lors, imposer des normes rigides à chacun devient problématique. La conformité ne saurait être confondue avec la normalité.
C'est ce que souligne également Michel Foucault. Dans Surveiller et punir, il décrit la norme comme un outil de contrôle social. Il montre comment les sociétés ont développé des systèmes complexes de surveillance et de normalisation des individus, y compris dans le champ médical. La norme en santé, imposée par les institutions, sert à classifier, à réguler les comportements humains. Elle peut aussi limiter la capacité des individus à définir ce qui est normal pour eux-mêmes.
En définitive, la norme en santé ne peut être pensée comme un modèle unique et universel. Elle est multidimensionnelle : biologique, sociale, culturelle, subjective, individuelle. Elle constitue à la fois un outil de régulation et un processus d'adaptation. C'est parce qu'elle est vivante et relative qu'il est essentiel de la questionner.