Avril 2025 - N°13

édito

Les 20 ans de la loi du 11/02/2005 sur le handicap, bilan et perspectives

Sahar Moussa-Badran,
directrice du site d’appui champardennais de l’EREGE

Alors que la loi du 11/02/2025 sur le handicap fête ses 20 ans, la prise en compte du secteur du handicap reste encore insuffisante malgré quelques avancées. De nombreuses pistes restent encore à approfondir et/ou à explorer.

La loi du 11 février 2005 a posé les bases d'une société plus inclusive, fondée sur l'égalité des droits et des chances. Son objectif était clair : assurer à chaque personne en situation de handicap une pleine participation à la vie sociale, scolaire, professionnelle et citoyenne. Cependant, l'accessibilité reste incomplète (tant sur le plan de la fluidité de la mobilité que sur le plan de l’information et du numérique), les démarches administratives sont longues et complexes. Le taux d'emploi des travailleurs handicapés demeure en deçà des objectifs fixés. Malgré les dispositifs en place, le taux de chômage des personnes en situation de handicap reste deux fois plus élevé que la moyenne nationale.

Cette loi a également élargi la définition du handicap pour inclure non seulement les déficiences motrices et sensorielles, mais aussi les handicaps cognitifs, psychiques et les troubles du neurodéveloppement, ce que l’on nomme le handicap invisible. Cette avancée a permis d'adapter les politiques publiques aux réalités des personnes concernées dans bien des domaines.

Néanmoins, des défis persistent : le manque d'accompagnants disponibles, les inégalités territoriales dans l'accès aux dispositifs d'inclusion, notamment en santé, et la nécessité de mieux former les enseignants à l'accueil des élèves en situation de handicap demeurent des enjeux majeurs qui nécessitent des efforts soutenus.

Bien que ces dispositifs aient contribué à améliorer le quotidien des personnes en situation de handicap, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour simplifier les démarches administratives au niveau des MDPH, réduire les délais de traitement des demandes et garantir un accompagnement adapté tout au long de la vie. L'accessibilité universelle, inscrite comme un principe fondamental dans la loi de 2005, doit être renforcée, notamment en ce qui concerne l'accès aux Accompagnants d'Élèves en Situation de Handicap (AESH) et l’accessibilité à certains établissements recevant du public (ERP), à l’information et au monde du numérique.

Enfin, si la formation des professionnels de santé en cursus initial et la sensibilisation du secteur social et médico-social ont ainsi bien évolué grâce à cette loi, il reste à intensifier la formation des enseignants sur les besoins spécifiques des élèves en situation de handicap.

Pour fêter les 20 ans de la loi du 11 février 2005, une journée de réflexions et d’échanges a été organisée au sein du Handilab de Saint-Denis le 11 février 2025. Le Handilab représente une étape clé, notamment en matière d’innovation, pour faire évoluer les politiques publiques sur le sujet du handicap. Et cette journée a été l'occasion de dresser un bilan constructif des avancées réalisées et de définir, avec toutes les parties prenantes, les priorités pour les années à venir.

Les pouvoirs publics réaffirment ainsi leur volonté de faire du handicap une priorité durable. Construire une société inclusive ne se limite pas à des engagements, c'est une responsabilité collective que nous devons assumer ensemble pour garantir à chaque citoyen une pleine participation à la vie sociale, économique et culturelle.

Définition

Explication d'un thème lié au questionnement éthique

Patrick Karcher, directeur de l’EREGE et du site d’appui alsacien

Dépendance

Dépendance : substantif féminin Relation de subordination, de solidarité ou de causalité.

  • Avec l'idée dominante de subordination, de soumission : être dans, sous la dépendance, sous l'autorité, sous l'influence de quelqu'un
  • Avec l'idée dominante de solidarité physique et/ou morale : fait d'être lié organiquement ou fonctionnellement à un ensemble.

Mais dépendance est également, depuis quelques décennies, le mot qui décrit l’état des personnes de plus de 60 ans porteuses d’incapacités physiques et/ou psychiques, que l’on dirait en situation de handicap si elles avaient moins de 60 ans, les problèmes rencontrés au quotidien étant pourtant très proches quel que soit l’âge. Alors que la loi d’orientation du 30 juin 1975 sur le handicap ne fixait aucune condition d’âge à l’attribution de l’Allocation Compensatrice pour Tierce Personne (ACTP), la loi du 24 janvier 1997 sur la Prestation Spécifique Dépendance (PSD) crée une nouvelle catégorie celle des personnes âgées dépendantes correspondant aux personnes en situation de handicap de plus de 60 ans (âge du droit à la retraite en 1997 !).

Quelle justification à cette ségrégation ? Elle n’est pas liée à l’âge d’apparition des incapacités résultantes spécifiquement de l’âge (apparaissant aujourd’hui bien plus tard, au-delà de 75-80 ans selon le sexe). C’est avant tout le coût croissant de l’ACTP à partir de 1988, que le rapport de la Cour des comptes réalisé en 1995 attribue majoritairement aux bénéficiaires âgés qui conduira à dissocier la dépendance du handicap. La loi reprendra le concept médical, incapacitaire, de dépendance, développé par les premiers gériatres intervenants dans les hospices où ils ne sont confrontés à « l’âge qu’à travers son incapacité fonctionnelle physique et/ou psychique, et qui vont modéliser la vieillesse comme un état biologique déficitaire, évoluant inéluctablement vers plus d’incapacité et vers plus de besoin d’aide, et ce, sans aucun retour possible. »

Les conséquences de cette distinction sont de deux ordres :

  • Bien sûr financières, motif de l’instauration de la ségrégation : la compensation d’une même incapacité est nettement moindre après 60 ans qu’avant
  • Mais aussi conceptuelle : alors que dans le handicap l’incapacité est envisagée sous l’angle du désavantage social (la limitation ou l’impossibilité de tenir son rôle social) limitation que la société se doit de restreindre, la dépendance n’est envisagée que sous l’angle de l’incapacité irréductible.

Le plafond de verre des 60 ans a résisté à l’augmentation de l’âge légal de la retraite à 62 puis 64 ans. Mais il a récemment été fissuré par l’adoption définitive le 10 février2025 par l’Assemblée nationale d’une loi visant à améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique (SLA, appelée aussi maladie de Charcot), et d'autres « pathologies d’évolution rapide et causant des handicaps sévères et irréversibles ». L’objectif de la loi est de permettre l’accélération des démarches d’obtention de la Prestation Compensatoire du Handicap (PCH qui remplace depuis 2005 l’ACTP) dans ces situations où les incapacités évoluent très rapidement (le délai moyen de traitement des dossiers étant actuellement de 6 mois).

Mais le texte introduit également une exception au plafond d'âge de 60 ans pour bénéficier de la PCH. La maladie de Charcot se déclare en moyenne à 68 ans : les malades peuvent alors bénéficier de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA qui a remplacé la PSD), alors que les personnes dont la maladie se déclare avant l'âge de 60 ans peuvent bénéficier de la PCH, qui permet une meilleure aide.
"L'association pour la recherche sur la SLA estime à plus de 8 000 euros de différence le reste à charge entre un bénéficiaire de l'APA et un bénéficiaire de la PCH", a expliqué Josiane Corneloup, rapporteure du texte, semblant oublier que cette différence de reste à charge existe pour la compensation de toutes les incapacités, selon que la pathologie s’installe avant ou après 60 ans.

Cette discrimination dépendance/handicap, liée à l’âge n’a que trop duré, la dépendance doit à nouveau être définie et prise en compte pour ce qu’elle est : une situation de handicap.

Recherche

Coups d’œil sur la recherche en éthique

Pr Christophe de Champs, président du Conseil d'orientation champardennais de l'EREGE et Dr Yves Alembik, président du Conseil d'orientation alsacien de l'EREGE

Interview : Ethique et management

Angélique Maquart,
coordinatrice de la démarche éthique au CHU de Reims, UFR Pôle Santé de Reims. Docteur en sciences de gestion
et Christophe Dechamp,
président du Conseil d’orientation du site d’appui champardennais

L’éthique managériale des cadres de santé : Comment répondre aux défis organisationnels et humains ?

Professeur Christophe DE CHAMPS
Vous avez écrit un livre intitulé « l’éthique managériale des cadres de santé. Comment répondre aux défis organisationnels et humains ? » en 2024. Il fait suite à votre travail de thèse sur l’Influence de l’éthique dans la gouvernance des établissements de santé et sur les pratiques managériales des cadres de santé » soutenue en décembre 2023. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la notion de gouvernance ?

Madame Angélique MAQUART
Lors de ce travail, j’ai été interpellée par le fait que la notion de gouvernance était un concept flou, difficile à définir pour les personnes enquêtées. Effectivement, dans la pratique courante ou plus précisément dans le langage courant des professionnels exerçant dans les établissements de santé, les termes de gouvernance et de dirigeant sont souvent confondus, employés indifféremment.
Or selon Isabelle Lacroix et Pier-Olivier St Arnaud, universitaires spécialisés en politique appliquée, « la gouvernance est l’ensemble des règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et la mise en œuvre des actions publiques » (2012, p.26).
La gouvernance concerne donc les textes, les règles, les lois. Les dirigeants quant à eux, incarne cette gouvernance.

CDC
Qu’est-ce que le New Public Management ? En quoi peut-il être contre-productif ?

AM
Le New Public Management (NPM) est un modèle de gestion néoclassique issu du secteur privé. Les maîtres mots sont performance, efficience et efficacité. La mise en place du NPM devait permettre de réduire la hiérarchie et les bureaucraties, étendre la décentralisation et importer des dispositifs issus de l’économie marchande. La réalité montre que nos institutions peinent déjà à se sortir du système considéré comme « trop » hiérarchique et « trop » bureaucratique. Il s’avère contre-productif car ce modèle de gestion favorise un écart entre les missions premières hospitalières (aide aux plus démunis et accueil de tous, sollicitude, préservation du sens de l’humain …) et les objectifs gestionnaires, organisationnels et administratifs (réduction des coûts, des moyens, stratégie analytique, se conformer à des normes, des règles …). D’ailleurs, les chercheurs Nicolas Matyjasik, politiste et Marcel Guenoun, directeur de l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) ont mené une recherche en management sur le sujet et y ont consacré un ouvrage intitulé « en finir avec le New Public Management » (2019).

CDC
« Ethique et management », deux mots accolés qui peuvent surprendre ? C’est nouveau ?

AM
Effectivement, ils surprennent, ils interrogent. Mais en fait ce sujet n’est pas si récent. Pour preuve, déjà en 2003, le rapport Cordier « Ethique et Professions de Santé » identifiait la nécessité d’ « Insérer la réflexion éthique dans une approche globale du fonctionnement hospitalier » (Rapport Cordier, 2003 : 60). Ici, il ne s’agit pas seulement de parler d’éthique du soin mais bien de réflexion éthique dans le fonctionnement hospitalier au sens large. Cela sous-tend l’organisation et la gestion.
En 2010, ce sont trois directeurs d’hôpitaux Cédric Arcos, Aude Kempf et Eric Martinez sous la direction d’Edouard Couty, qui écrivent « Ethique & Management hospitalier ». Ils indiquent que « seule la rencontre entre l’éthique et le management permet de porter sur les contradictions et les conflits un regard qui ne perde pas le sens de l’humain ». Puis plus récemment, en 2022, le CCNE nous invite au travers d’un avis à « repenser le système de soins sur un fondement éthique ». Certaines lignes de cet avis peuvent s’apparenter à ce que je nomme l’éthique managériale notamment le fait « d’intégrer et de déployer la culture éthique » (p. 35), mais aussi « faire vivre une éthique du respect des parties prenantes (p. 41) ou enfin la « construction d’une culture de la concertation et de la co construction » (p. 43). En 2023, c’est le comité éthique de la FHF qui émet un avis « comment prendre soin des professionnels de santé ». Ici, il pointe davantage le rôle des dirigeants et rappelle l’importance du management, notamment former les managers à l’éthique pour « mieux valoriser les professionnels » (p.16). Il insiste sur le développement de temps et d’espaces de réflexion éthique (p.15) spécifiquement sur l’éthique et management. Enfin, il considère le travail du climat éthique comme un axe important reposant sur la bienveillance, la confiance et le respect mutuel entre autres (p.17).

CDC
L’éthique peut donc se retrouver dans la gestion des établissements de santé ?

AM
Oui, nous venons de voir au travers des recommandations que le sujet de l’éthique n’est pas récent. Ensuite, nous pouvons identifier l’éthique normative où nous pouvons y associer la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » (HPST) de 2009 (mise en place d’espace de comité d’éthique ou espace de réflexion éthique), les lois bioéthiques, la déontologie, la certification (la démarche éthique), le projet d’établissement (les valeurs). Au niveau de l’éthique de la responsabilité et de la discussion au service de l’éthique appliquée, les directeurs de la fonction publique hospitalière (FPH) ont une charte de l’éthique et de la responsabilité (2017). La FPH regroupe les hôpitaux publics, les établissements publics d’hébergement pour personnes âgées et les autres établissements médico‑sociaux. Concernant l’éthique spécifiques aux soignants, nous pouvons parler d’éthique du care et du prendre soin, l’éthique clinique, l’éthique réflexive. Enfin concernant, l’éthique dédiée à l’organisation et au management, il y a toutes les recherches concernant l’éthique organisationnelle et managériale.

CDC
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce que signifie éthique managériale ?

AM
L’éthique managériale est une branche de l’éthique organisationnelle. Elle « inspire et régule les comportements organisationnels spécifiques : le management, le projet institutionnel, les modes d’organisations, les stratégies de changement… » (Dupuis, 2010 : 20). Si je reprends l’exemple de favoriser un climat éthique énoncé par le comité éthique de la Fédération Hospitalière de France (FHF), il s’agit alors de « chercher à insuffler plus d’humanité dans le quotidien » (Hesbeen, 2024 : 7) autour de « perception partagée d’un comportement vu comme juste » (Mercier, 2014 : 39). La Fédération hospitalière de France (FHF) porte la voix et défend les intérêts de tous les hôpitaux et établissements médico-sociaux publics.
L’éthique organisationnelle a « une vocation pratique : elle cherche à instaurer et à entretenir une forme de « vie bonne » dans le cadre d’un service, d’une entreprise, d’une organisation en générale » (Dupuis, 2014 :12). Elle peut s’identifier au triangle de Ricoeur qui met en avant la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes.
Quant à l’éthique managériale, c’est la rencontre entre l’éthique et le management. Pour G. Deslandes, philosophe français, c’est « l’un des domaines les plus vigoureux de la recherche en management » (2012, 18). « Elle s’intéresse donc à la conduite des managers dans la conduite des organisations dont ils ont la responsabilités » (Ibid, 18). Il dit que « L’éthique managériale prescrit, recommande, là où le management éthique expérimente, agit … opérationnalise l’éthique managériale … » (Ibid, 4). Nous pouvons retrouver ici le parallèle avec l’explication des notions de gouvernance et dirigeants.

CDC
De quelle manière le management éthique peut vivre ?

AM
Je vais m’appuyer ici sur un auteur qui a accompagné le chemin de mon apprentissage de l’éthique depuis plus de dix ans maintenant. Il s’agit du Pr Walter Hesbeen, infirmier et docteur en santé publique, co fondateur du Groupe francophone d'études et de formations en éthique de la relation de service et de soin (GEFERS), rédacteur en chef de la revue Perspective Soignante. Il précise que l’éthique appliquée au management relève de la notion de prendre soin. Il s’agit d’un « … prendre soin qui s’adresse à l’humain au travail et qui vise son bien …, qui comporte les mêmes exigences de respect, de sensibilité, de subtilités, de délicatesse, de bienveillance, d’humilité et de générosité que celles qui concernent l’humain malade ou dépendant, et qui requiert de la part » du cadre « d’aiguiser sa vigilance et de déployer son intelligence des situations » (2011, p. 106). L’intention première qui sous-tend les actions et comportements en lien avec le management devrait être la visée du bien. Il ne s’agit donc pas de s’intéresser à la personne au travail en tant que sujet productif avec une vision utilitariste mais d’être humainement concerné par l’être humain afin qu’il se sente considéré, reconnu estimé.

CDC
Au regard de cette description, quelle personnalité doit avoir un leader ou un cadre dans les organisations de santé ?

AM
En fait, auparavant il était attendu d’un leader une figure d’autorité, un meneur avec une grande résistance à toutes épreuves. Aujourd’hui, il est pressenti davantage un leader empreint d’un leadership éthique qui soit capable de rassembler, d’adapter son comportement aux personnes en face de lui, une personne sensible à l’autre.
Michel Dupuis, philosophe exprime sa vision du leader comme « avant tout un être humain dans toute l’ampleur du terme, acteur raisonnable et animé d’émotion, décideur intelligent et sensible, solidement ancré dans le présent, mais dans un présent « épais », riche des expériences passées – les siennes propres et celles de l’organisation -, « ouvert » également à l’avenir » (2014, p. 37).
Voilà ce qui est attendu d’un leader éthique.

CDC
Auriez-vous quelques propositions concrètes en termes d’éthique managériale ?

AM
Il m’apparait nécessaire de favoriser une démarche de réflexion collective pour défendre les valeurs éthiques dans l’intérêt de tous. Cette réflexion devrait concerner différents domaines, au-delà de l’univers du soin. La réflexion éthique demande que chacun prenne conscience de ce que cela peut apporter notamment en termes de « sens » dans ce monde devenu parfois insensé. La réflexion éthique permet d’interroger ou ré-interroger le sens de nos actions, le sens pour les autres …
En second point, je pointerais une ouverture vers un processus post New Public Management afin de favoriser une co-construction du changement. En effet, pourquoi pour une difficulté organisationnelle, les réponses ne devraient venir que des dirigeants ? La co-construction nécessite la confiance et un appel au terrain dans les divers sujets d’un établissement y compris sur les difficultés organisationnelles. Cela peut être considéré comme du co-management.
Un dernier aspect que je peux suggérer, est de renforcer les formations en éthique pour aider à la prise de décision. Je travaille actuellement à l’élaboration d’une formation sur ce sujet.

CDC
Souhaitez-vous ajouter un mot pour conclure ?

AM
Je souhaite conclure par ces quelques lignes extraites de mon livre : « L’éthique managériale permet de porter son regard sur les personnes en tant que sujets et sur leurs conduites en visant un agir juste, sensé. Cette éthique se veut concrète, inscrite dans la réalité des pratiques et des comportements. […] Le déploiement de l’éthique s’appuie sur la dynamique de réflexion en équipe, qui doit être cultivée, instaurée sur des bases régulières au sein de groupes où la parole de chacun est considérée comme pertinente » (Maquart, 2024 : 163).

Références :

  • Rapport Cordier, Ethique et Professions de Santé, 2003.
  • Arcos, C., Kempf, A., Martinez, E. (2010). Ethique & management hospitalier, Editions de Santé.
  • CCNE (2022). Avis 140. Repenser le système de soins sur un fondement éthique.
  • FHF. Avis du comité éthique. (2023). Comment prendre soin des professionnels de santé.
  • Dupuis, M. (2014). L’éthique organisationnelle dans le secteur de la santé, Paris, Seli Arslan.
  • Hesbeen, W. (2024). Cadres de santé – En chemin vers un horizon éthiquement désirable, Paris, Elsevier Masson.
  • Hesbeen, W. (2011). Cadres de santé de proximité. Un métier au cœur du soin, Paris, Elsevier Masson.
  • Lacroix, I., St-Arnaud, P.-O. (2012). La gouvernance : tenter une définition. Cahiers de Recherche en Politique Appliquée, n°4(3), 19-37.
  • Maquart, A. (2024). L’éthique managériale des cadres de santé – Comment répondre aux défis organisationnels et humains ? Paris, Seli Arslan.
  • Matyjasyk, N., Guenoun, M. (2019). En finir avec le New Public Management. Paris : IGPDE.
  • Mercier, S. (2014). L’éthique dans les entreprises, Paris, La Découverte.

presse

Les articles scientifiques ou grand public qui posent des questions éthiques

Dr Patrick Karcher, directeur de l'EREGE et Pr Gérard Audibert, directeur du site d’appui lorrain

L’avis 147 du Comité Consultatif National d’Ethique

Dr Patrick Karcher,
directeur de l'EREGE et du site d’appui alsacien

Enjeux éthiques relatifs à la crise de la psychiatrie : une alerte du CCNE

Ce nouvel avis résulte d’une auto-saisine du CCNE, motivée par l’état de dégradation du système de soins psychiatriques. Il comporte trois parties :

  1. Un état des lieux se fondant sur les très nombreux rapports publiés depuis une décennie (Ministère des Affaires sociales et de la Santé, Parlement, Sénat, Conseil Économique, Social et Environnemental, Défenseure des droits…) qui montrent un système de soins en psychiatrie exsangue et des établissements au bord de la rupture. Alors que sur le long-terme 13 millions de personnes sont concernées en France par les maladies psychiatriques, l’accès aux soins est dégradé avec des délais d’attente qui se rallongent tant pour les consultations que les hospitalisations, une inégalité croissante entre les territoires et de mauvaises conditions de prise en soins.

    Cette situation résulte à la fois à :

    • a. Des moyens insuffisants : L’objectif louable d’une psychiatrie « hors les murs », avec la mise en place de la sectorisation dans les années 60, a conduit à la fermeture de 60% des lits de 1976 à 2016, sans redéploiement proportionnel des moyens vers l’ambulatoire, et sans ouverture de places suffisantes en médico-social. Une démographie médicale dégradée (la psychiatrie placée au 40ème rang de choix des spécialités sur 44 à l’internat en 2023), un sous-financement chronique des soins, un investissement en recherche sous-dimensionné et une formation insuffisante des professionnels de santé complètent cet état des lieux catastrophique.
    • b. Des besoins en augmentation : surtout marqués par une augmentation majeure des troubles de l’humeur notamment chez les jeunes adultes

  2. Les conséquences éthiques de cette crise de la psychiatrie sont majeures :
    • a. Une difficulté à respecter les droits fondamentaux. On constate une deshumanisation des soins du fait du décalage entre moyens et besoins : prise en soins inadaptées, recours à la contrainte, locaux vétustes… Le respect de l’accès à des soins de qualité, le respect de la dignité de la personne et de sa liberté ne sont plus garantis. Cette situation très dégradée est, par ailleurs, cause de souffrance éthique des soignants.
    • b. Une sur-fragilisation de personnes déjà particulièrement vulnérables : les jeunes, les enfants et adolescents placés à l’Aide Sociale à l’Enfance, les personnes âgées, les personnes en situation de précarité, de détresse sociale, les sans-abris, les personnes incarcérées.
    • c. Le cercle vicieux de la stigmatisation conduisant à une marginalisation voire une invisibilisation des malades ou à aborder les problèmes de santé mentale par le prisme de la sécurité publique plutôt que par l’approche médicale.

  3. Des préconisations : « Compte tenu du nombre important de rapports déjà publiés sur la crise de la psychiatrie, le CCNE considère que le diagnostic et les réflexions réalisées sur la crise de la psychiatrie française sont désormais bien établis et approfondis ». De ce fait le CCNE recommande la mise en œuvre rapide d’un plan d’action concret et opérationnel autour de 3 axes : l’accès sur tout le territoire à des soins de qualité et respectueux des droits fondamentaux, la lutte contre les discriminations et l’exclusion des personnes vivant avec des troubles psychiatriques et le développement de la formation et de la recherche.

https://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/enjeux-ethiques-relatifs-la-crise-de-la-psychiatrie-une-alerte-du-ccne

événements

Un retour argumenté sur les manifestations réalisées ou soutenues par l’EREGE

Laure Pesch, coordinatrice du site d’appui alsacien

Cycle de webinaires : Me soigner demain : qui ? où ? comment ? pourquoi ?

04/03/2025

Organisé par l’EREGE ce cycle de webinaires a pour objet de réfléchir collectivement sur ce que soigner signifie dans les territoires à l’aune des changements rapides de notre société.

La santé mentale est sur le devant de la scène en ce début d’année 2025 : décrétée grande cause nationale par le premier ministre, la psychiatrie fait également l’objet du dernier avis du Comité Consultatif National d’Ethique. La crise de la psychiatrie est nommée et fait l’objet de nombreux rapports depuis plusieurs année sans mesure particulière pour y remédier. Chacun semble d’accord pour dire qu’il est temps d’apporter des solutions aux nombreuses problématiques relevées.

Après une introduction du Pr Alain Léon, le Dr Christophe Schmitt a effectué un constat de l’état de la psychiatrie en France aujourd’hui et particulièrement dans notre région du Grand Est. Nous avons ensuite mis en avant des initiatives innovantes. La place des infirmier/ères en pratiques avancées (IPA) dans la prise en soins spécifique des patients des services de psychiatrie est grandissante, cette opportunité permettrait-elle de remédier partiellement à la crise des vocations du secteur ? Christine Ligeron a abordé ce sujet avec nous. La mise en place d’équipes psychiatriques de soins intensifs à domicile (EPSIAD) serait-elle une issue afin de sortir les patients de l’hôpital psychiatrique et par là même de les déstigmatiser? Une manière de créer des réseaux soutenants ? Ce dernier sujet a été traité par le Dr Caroline Soler.

C’est par ces regards complémentaires que nous vous proposons d’entamer une réflexion sur ce qu’est la psychiatrie mais surtout sur ce qu’elle pourrait devenir dans les prochaines années.

Penser l'avenir de la psychiatrie

Ressources documentaires

Littératie en santé un webinaire du site d’appui lorrain de l’EREGE

30/01/2025

Littératie en santé : chercher et comprendre les informations pour ma santé

Le Pr Julien Mancini a dans un premier temps réalisé un exposé reprenant une partie des travaux réalisés en littératie en santé et notamment les résultats de l’étude Health Literacy Survey publiés courant 2024. Le Dr Nicolas Giraudeau a pris sa suite en réalisant un focus sur la santé du numérique et l’illectronisme. M Févotte, représentant des usagers pour France Assos santé a clôturé les exposés en mettant en avant les initiatives existantes pour favoriser la bonne compréhension des informations par le public.

Webinaire littératie en santé

Ressources documentaires

L’endométriose en France

06/03/2025

L’endométriose en France : comprendre la maladie et ses enjeux éthiques

Le webinaire "L'endométriose en France : comprendre la maladie et ses enjeux éthiques" s'est tenu le jeudi 6 mars 2025 de 18h à 20h, dans le cadre de la 21e Semaine Européenne de Prévention et d'Information sur l'Endométriose. Il a été organisé par le site d'appui Champagne-Ardenne de l'EREGE, cet événement visait à sensibiliser le public aux impacts de l'endométriose sur la vie des femmes.

Le programme comprenait trois parties : une présentation de l'endométriose en l’état actuel des connaissances, par Marine, bénévole de l'association EndoFrance, suivie d'une discussion sur les enjeux éthiques liés à la maladie, et les pistes d’amélioration avec Sahar Moussa-Badran, directrice du site d'appui, et Amandine Andruchiw, coordinatrice. Nous avons pu voir que les enjeux éthiques qui accompagnent cette maladie complexe et encore mal connue sont nombreux (retard de diagnostic, égalité d’accès aux soins, manque de prévention et de formation des soignants, respect de l’autonomie des patientes, manque de financements pour la recherche, etc.), mais les choses sont en cours de changement ( installation des filières de soin dédiées dans les régions, amélioration de la formation des soignants, accompagnements des associations, etc), ce qui redonne de l’espoir quant à des avancées significatives dans les années à venir, notamment dans l’accès aux soins pour les femmes et personnes menstruées atteintes d’endométriose. Une troisième partie dédiée aux échanges avec les participant.es, s’est déroulée dans un esprit convivial et respectueux.

Il est important de noter qu'aucun replay n'était prévu pour ce webinaire, mais une deuxième séance sur le même sujet est prévue pour l'automne. Pour aller plus loin sur ce sujet, consultez notre document ressource.

Webinaire sur La maladie incurable

12/02/2025

Le terme d’incurabilité tout d’abord défini à travers l’histoire puis décrit par des regards différents en oncologie et en psychiatrie.

Même si la fin de vie n’est pas et n’a pas à être définie dans la loi, ses contours transparaissent des conditions de mise en œuvre légale d’un certain nombre de pratiques autorisées à l’approche du décès : la limitation ou de l’arrêt de traitement pour éviter l’obstination déraisonnable, la priorisation du soulagement de la souffrance sur le maintien à tout prix de la vie (loi du double effet), la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. Ces textes définissent une période de la vie s’approchant de sa fin où la personne porteuse « d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements » ou encore est « susceptible d’entraîner une souffrance insupportable » peut bénéficier de ces prises en soin.

Lors des discussions débutées en mai 2024 du projet de loi sur la fin de vie à l’Assemblée nationale, les notions d’incurabilité, de pronostic, de souffrance réfractaire ou insupportable ont fait l’objet d’intenses débats. C’est pourquoi le site d’appui alsacien de l’Erege a décidé d’organiser un cycle de webinaires portant sur ces mots.

Le premier webinaire, organisé le 12 février, s’intéressait au terme « incurable », au travers de trois regards : un regard historique sur le concept, son évolution après l’apparition de la médecine scientifique moderne et ses promesses d’éradication de la maladie (Dr Karcher Patrick, directeur du site), puis le point de vue de l’oncologue qui a rappelé les aprioris persistants d’incurabilité du cancer malgré des progrès majeurs dans certains cancers et insisté sur une approche toujours singulière de l’incurabilité (Dr Philippe Trensz, oncologue médical) et enfin, un regard sur l’usage fait du concept d’incurabilité dans l’accès des malades psychiatriques à une aide médicale à mourir dans les pays où elle est légalisée, en rappelant l’incertitude et la complexité du diagnostics psychiatriques qui ne peut pas être étayé par l’imagerie ou la biologie (Pr Roger Gil, neuropsychiatre, directeur du site de Poitiers de l’Espace de Réflexion Ethique Nouvelle Aquitaine).

Que disent les mots de la fin de vie ? La maladie incurable

media

Des liens vers des émissions TV, radios, podcast, webinaires, conférences... intéressants du point de vue éthique

Bénédicte Thiriez, coordinatrice du site d'appui lorrain

Télévision

Course à l’IA : vers le meilleur des mondes

L’intelligence artificielle est un sujet qui préoccupe beaucoup les gouvernements de par l’influence qu’elle peut avoir sur la population, les informations qu’elle délivre. Alors que les géants de la tech alertent les pouvoirs publics sur les dérives possibles, l’Union Européenne est la première entité au monde à avoir légiféré sur le sujet. Cette réglementation constituera-t-elle un frein au développement des technologies, reléguant les starts up européennes derrière les champions de la sillicon vallée ou au contraire, leur permettra-t-elle d’intégrer en leur sein les prérequis nécessaires à la démocratie ?

Course à l’IA : vers le meilleur des mondes

Podcast

Eloge du bug

En passant par plusieurs étapes de raisonnement, Marcello Vitali Rosati, philosophe du virtuel, de l’identité numérique et des questions qui s’y rattachent (éthique appliquée, éditorialisation…) nous invite à nous questionner sur la notion de ce qu’est un bug et surtout sur ce qu’il nous apprend sur les outils que nous utilisons et aussi l’usage que nous en faisons.

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Cinéma

La fin de vie sur grand écran

La chambre d’à côté d’Almodovar et Le dernier souffle de Costa-Gavras nous emmènent tous les deux dans des histoires aux frontières entre la vie et la mort. Ces manières très différentes d’aborder le sujet nous invitent à la réflexion sur la fin de vie que cela soit en termes juridiques avec l’espace des possibles mais également en termes de respect de la volonté de l’individu.

Cinéma : fin de vie

culture

Tour d’horizon d’œuvres qui nous permettent d’aborder des questionnements éthiques de manière singulière

Laure Pesch, coordinatrice du site d'appui alsacien

Lecture

L'animal médecin

LA BIGNE Yolaine de (dir), Ed. Alisi, coll "Alisio Sciences", 2023

« Et si notre magnifique médecine, cette preuve du “génie humain”, tirait son origine de l’observation des animaux ? » (p.7)

C’est avec cette question que la journaliste Yolaine de la Bigne, spécialiste des intelligences animales, ouvre cet ouvrage fascinant qui explore les liens entre les animaux et la santé humaine, tout en faisant la part belle à la question de la « zoopharmacognosie », autrement dit, la capacité des animaux à apprendre et se transmettre des savoirs en lien avec ce que nous pourrions appeler une forme d’automédication. Les animaux ont-ils des connaissances médicinales, se transmettent-ils les secrets relatifs aux plantes, au vivant, de génération en génération ?

L’ouvrage est constitué de trois grandes parties. La première interroge les connaissances autour de l’animal médecin, la deuxième explore en quoi les animaux inspirent notre médecine, et la dernière investigue de quelles manières certains animaux, et plus particulièrement les chiens, les chevaux et les chats, améliorent notre santé mentale. En outre, en s’appuyant sur des témoignages et des études de cas, l’ouvrage parvient à rendre ces idées abstraites plus accessibles et compréhensibles.

Par ailleurs, l’ouvrage adopte une approche multidisciplinaire, faisant appel à divers experts tels que des biologistes, ethnologues, vétérinaires, primatologues et photographes. Ils explorent comment les animaux, de la simple compagnie aux rôles thérapeutiques, peuvent améliorer notre bien-être physique et mental. Un exemple notable est la médiation animale, utilisée pour aider les patients à surmonter divers troubles.

En outre, il est intéressant de constater que la perspective choisie dans cet ouvrage s’inscrit dans l’approche « One Health » (« Une seule santé ») qui propose une considération de la santé comme élargie, puisqu’elle reconnaît que les santés des humains, des animaux (domestiques, sauvages, liminaires), des plantes et de l’environnement au sens large (y compris les écosystèmes) sont étroitement liées et interdépendantes. La mise en œuvre concrète de cette approche consiste notamment à faire collaborer différents professionnels — médecins, vétérinaires et spécialistes de la nature et des animaux — pour mieux comprendre les interactions entre vivants, et prévenir et combattre les zoonoses (par exemple : la maladie de Lyme).

Que signifie être malade, pour un animal ? Dans quelle mesure peut-on parler d’un savoir médical chez les animaux ? Si le savoir médical des animaux nous semble un sujet surprenant, voire absurde, il est important de considérer que tous les animaux cherchent à, voire savent, utiliser des plantes pour soulager leurs maux. Si l’on accepte de changer de perspective, nous pouvons alors nous demander ce qu’ils ont à nous apprendre sur eux, et puis sur nous.

Déjà Aristote (384-322 av. J.-C.), dans Histoire des animaux, réfléchissait à l’automédication des animaux, et Plutarque (46 - 125 apr. J.-C.), dans L’intelligence des animaux, nous amenait à reconnaître les intelligences animales tout en rappelant les hommes à davantage d’humilité quant à leurs propres savoirs. L’ouvrage L’animal médecin s’inscrit bien dans cette démarche, par exemple quand le biologiste et sociologue des sciences Benoît Grison nous explique que les chimpanzés ont des usages différenciés des principes thérapeutiques des plantes, en fonction de leurs apprentissages : « On sait aujourd’hui que des cultures diverses coexistent chez les chimpanzés : tous n’utilisent pas les mêmes outils selon les régions, par exemple, et il en va de même pour leur pharmacopée. Pourtant confrontés à des ressources botaniques identiques, certains groupes ne consomment pas toujours les mêmes plantes, et donc les mêmes substances pharmacologiques, selon leurs localisations géographiques respectives. Cela signifie qu’il existe bien une transmission entre adultes : des individus se comportant en “innovateurs” testent de nouvelles plantes aux propriétés phytothérapeutiques, ce qui implique des processus d’apprentissage collectif par observation. » (p.18)

Bien d’autres exemples appelant à la reconnaissance de savoirs animaux s’égrènent au fil des pages : nous apprenons ainsi que les ours utilisent des argiles et des champignons pour régler leurs problèmes digestifs, que les mésanges bleues ont une connaissance très fine des plantes aromatiques antiparasitaires, que les drosophiles affectionnent la nourriture fruitée en cours de fermentation car elles utilisent l’alcool pour se défendre contre les parasites, ou bien encore que les fourmis contaminées par des germes transmissibles s’auto-excluent de la colonie. Même s’il n’est pas toujours évident d’interpréter les comportements animaux avec certitude, ces exemples semblent bien montrer que les animaux font des expériences et se transmettent des connaissances liées à l’automédication. Connaissances qu’ils peuvent également, sans le savoir, transmettre aux humains.

D’ailleurs, on peut aussi lire dans cet ouvrage que pour certaines populations humaines, comme la population Kasua de Papouasie–Nouvelle-Guinée étudiée par l’ethnologue et chercheuse au CNRS Florence Brunois-Pasina, l’automédication animale ne fait pas de doute. Ils considèrent que les animaux sont assez intelligents pour que leur capacité à s’occuper d’eux-mêmes mais aussi de leurs proches ne soit pas une affaire d’instinct, mais bien de volonté et d’intentionnalité. Les Kasua reconnaissent également avoir imité les animaux en les observant.

Mais les animaux ne sont pas seulement des médecins d’eux-mêmes, ils sont aussi bénéfiques pour améliorer notre santé mentale, notre manière d’être au monde. L’ouvrage explore ainsi également les bienfaits de la médiation canine, féline et équine. Pour cette dernière, la psychologue et équithérapeute Caroline Mercier, ayant exercé pendant de longues années en prison, nous fait part de ses expériences au travers de vignettes cliniques. Le cheval, en tant que partenaire de soins non jugeant, permet aux prisonniers de faire part de leurs émotions, de s’interroger sur leurs comportements, de se raconter sans peur. Plus généralement, la médiation équine permet aux personnes en grande souffrance psychique de se raconter, et ce faisant, de se retrouver.

Plus globalement, une des originalités de cet ouvrage réside dans la manière dont l’animal y est défini. En effet, l’animal n’y est pas défini par la négative, c’est-à-dire comme le « non-homme », mais il est pensé tout à tour comme sujet connaissant, venant remettre en question nos réflexions d’ordre épistémologique et la frontière entre l’instinct et le savoir, comme sujet source d’inspiration au travers d’une forme de mimèsis thérapeutique qui vient guider nos propres pratiques médicales, floutant la frontière érigée entre les espèces, et enfin comme sujet thérapeute de l’âme suggérant une interconnexion profonde entre toutes les formes de vie et leur bien-être.

Cet ouvrage a donc des implications à la fois philosophiques, éthiques et sociétales, en ce qu’il nous invite, avec astuce et clarté, à reconsidérer notre rapport aux animaux, à reconnaître leur rôle vital dans notre équilibre émotionnel et physique, mais aussi écologique.

Le livre L’animal médecin. Les secrets du soin chez les animaux constitue, en définitive, une belle introduction au sujet. Il est garni d’exemples qui donnent envie d’aller plus loin dans la compréhension et la connaissance des différents comportements et interactions. La bibliographie dense et bien structurée à la fin de l’ouvrage permet de fait d’approfondir les différents enseignements.

Pour aller plus loin :
ARISTOTE, éd. BERTIER Janine, Histoire des animaux, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1994.
ARRIEN Sophie-Jan, « Ipséité et passivité : le montage narratif du soi (Paul Ricoeur, Wilhelm Schapp et Antonin Artaud). » Laval théologique et philosophique, volume 63, numéro 3, octobre 2007, p. 445–458. https://doi.org/10.7202/018171ar
BRUNOIS-PASINA, Florence. « « Nous les avons copiés. » L’apprentissage d’un savoir-vivre interspécifique dans la forêt kasua ». Techniques & Culture, n° 73, janvier 2020, p.58-77. DOI : 10.4000/tc.13457. URL : https://shs.cairn.info/revue-techniques-et-culture-2020-1-page-58?lang=fr.
DYON Coraline, Le bien-être des animaux utilisés en zoothérapie : état des lieux et perspectives d’évolution. Thèse Médecine vétérinaire et santé animale, Université de Toulouse, 2024.
PLUTARQUE, éd. GONDICAS Myrto, L’intelligence des animaux, Paris, Arléa, coll. « Poche-retour aux grands textes », 1998. 3

Recension : Amandine Andruchiw

L'animal médecin
Lecture ESSAI

Nos dernières fois

Défier la nostalgie, Sophie Galabru, Allary Editions

Dans son dernier ouvrage, Sophie Galabru nous invite à interroger la notion de temporalité. C’est particulièrement son lien avec les fins multiples ponctuant notre vie, qui est au cœur du sujet. Ces dernières fois, l’autrice les classe en trois catégories : celles auxquelles on peut se préparer, celles que l’on subit et pour finir celles que l’on espère.

Dans les dernières fois que l’on peut anticiper, la philosophe aborde le sujet de la fin de vie comme un dernier instant, un entre-deux pris entre l’expérience sensorielle unique et l’invisible. Que cela soit par l’intermédiaire d’un testament ou d’un « Jisei no ku », « parler une dernière fois aide à rester humain face au passage vers l’inhumanité » (p57), « Ne pas disparaître totalement. Dire avant de se taire. Exprimer l’essentiel de ce que nous ressentons ou comprenons. Ne pas demeurer trop seul face à cette épreuve en première personne. Parler à ceux que nous aimons et les apaiser. » (p58). Dans ce dernier dialogue avec les mourants, « s’écrire ou se parler permet d’éviter les regrets qui augmentent le désespoir » (p61), ces derniers instants sont le plus souvent habités d’une hyperactivité du survivant tranchant avec le calme ou la passivité du malade. Ce dernier qui pourra une dernière fois endosser la responsabilité de ce qu’il transmettra d’apaisant pour soi et pour les autres. Il est des dernières fois qui, anticipées, renforcent les liens et permettent de se projeter dans la perte définitive : « exprimer ses émotions et recueillir celles de l’autre est une façon de se liguer contre ce qui pourrait nous anéantir. » (p65), se liguer en vain car « nous mourons avec autrui » (p65) en même temps cependant que « la relation continue en nous et après nous » (p66), que le souvenir persiste comme un témoin de la force du lien.

La deuxième catégorie énoncée par Sophie Galabru est celle des dernières fois que l’on ne peut que subir. Elle fait référence une nouvelle fois à la mort notamment, à la perte des personnes. La philosophe nous invite à prendre conscience de ce que la nostalgie convoque en nous dans notre rapport au temps : un minutage précis, gage de performance. Cette nostalgie peut aussi abimer les moments de vie en les laissant habiter par une peur de la finitude, par le fait que ce moment ne pourra jamais être revécu. En prenant conscience de l’irréversibilité du moment présent, on lui procure une valeur particulière en lien avec son caractère original et unique. L’autrice évoque de manière particulière le rapport au temps vécu par les femmes : des passages qui « se vivent dans nos corps », un corps dont « la temporalité cyclique, est sujet à appréhender le temps comme à s’y situer » (p121). Un passage de l’enfance à l’adolescence mettant en exergue la modification des relations avec les garçons, passant de « l’indifférenciation » (p122) à « la gêne, la distance, la prudence » (p123), en parallèle de la modification de son corps « c’est un corps plus lourd que celui de l’enfance et que celui des garçons.» (p124). Un corps dont la physiologie colore en quelque sorte la place de la femme dans la société : de cycles infertiles en maternité, de périodes de règles vers la ménopause, le corps de la femme s’adapte au gré des saisons : « La dernière fois petite fille, comme la dernière fois fertile, sont des repères temporels profonds d’une vie féminine qui s’enracinent au fond de soi. » (p125). Un temps parfois difficilement perçu par la mère : « Elle n’a même pas le loisir de s’apercevoir de ses dernières fois comme nullipare, comme grosse, comme accouchée, et peut-être même comme mère dépassée par un enfant « puissant comme le vent, changeant comme la lumière », déjà grandi, déjà grand, déjà autonome. Il se pourrait qu’être mère revienne précisément à ne pas avoir de temps pour se regarder être mère. Aucune temporalité de l’adieu, aucune mémoire du passé ni du présent. » (p126).

La dernière catégorie de classement de ces dernières fois par Sophie Galabru est celle des fins espérées : celles qui délivrent et permettent d’aller de l’avant. C’est le cas des épreuves, de la maladie ou de l’addiction. Dans cet opus, l’autrice convoque une nouvelle fois la fin de vie mais ici sous l’angle du choix. La philosophe nous parle du point de vue très tolérant des stoïciens au sujet du suicide et aussi de l’évolution de notre société actuelle vers un besoin d’être assisté pour se faire. Les cause de cette volonté étant principalement une « perspective de déchéance insupportable » (p167), une « esquive de la dépendance » (p168), elle justifie l’expression de cette nécessité par un abandon de la société : « rien n’est réellement pensé pour changer et améliorer les conditions de vie de ces êtres effrayés par une vie recluse, isolée et réduite à ses fonctions vitales. » (p169). « Pourtant, ma vieillesse et ma mort – aussi personnelles et solitaires soient-elles – concernent aussi ceux qui m’aiment, et plus largement la société et la sphère politique dans les décisions ou les indécisions qu’elles assument pour les secourir ou les soulager. » (p170). L’autrice questionne donc bien ici ce désarroi des personnes recherchant dans le suicide la fin d’une vie qui ne convient plus, peut-être plus à la société qu’à eux-mêmes. Le suicide assisté est pour la philosophe l’ultime étape d’un cheminement fait de renoncements et de deuils de ce qui fait la vie : « deuil de son corps, deuil de l’espérance, deuil de la projection dans le futur. » (p171). Une fin de vie qui s’installe de manière progressive et qui questionne : « Alors que faire de ce temps imparti ? Jusqu’où aller dans l’équilibre incertain et la souffrance croissante ? » (p172). L’autrice fait ici l’état d’une fin de vie qui pourrait être une expérience ultime de liberté et de partage si le poids du tabou pouvait s’alléger.

Recension : Bénédicte Thiriez

Nos dernières fois

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Des annonces sur les formations et évènements scientifiques ou culturels à venir

Bénédicte Thiriez, coordinatrice du site d'appui lorrain

Appel à contributions

Jeunes chercheurs sur le thème de l’éthique en santé

L’EREGE : L'Espace de Réflexion Éthique Grand Est (EREGE) a pour vocation de susciter et de coordonner les initiatives en matière d’éthique dans les domaines des sciences de la vie et de la santé. Au travers de ses trois sites d’appui (alsacien, champardennais, lorrain) l’EREGE assure des missions de formation, de recherche, de documentation, de démocratie sanitaire. Il a également une fonction d’observatoire des pratiques éthiques, de promotion du débat public et de partage des connaissances dans ces divers domaines.

Ligne éditoriale : L’Espace de Réflexion Éthique Grand Est (EREGE), par Échos Éthiques, souhaite promouvoir et inciter à la réflexion éthique dans les différents domaines qui concourent aux sciences de la vie et de la santé. Pour ce faire, Échos Éthiques favorise l’accès à des informations et à des ressources permettant de mettre en lumière les enjeux éthiques des questions traversant la société, à partir d’une pluralité de regards (professionnels, associatifs, universitaires, etc.).

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Contexte : La revue trimestrielle Échos Éthiques prend la forme d’une newsletter qui se consacre à la vulgarisation et à l’explicitation des enjeux éthiques contemporains dans les domaines du vivant et de la santé, ainsi qu’à leur impact sur la société. Dans un monde en mutation rapide, il est essentiel de rendre les réflexions éthiques accessibles pour toutes et tous.

Objectif : Cet appel à contribution vise à encourager les jeunes chercheurs (doctorant.es, post-doctorant.es, jeunes chercheuses et chercheurs) à proposer des communications sur leurs travaux lorsqu’ils concernent des questions éthiques, ou des recensions d’ouvrages en les rendant accessibles à un public non spécialiste.

Public cible : Échos Éthiques s’adresse à toutes et tous (grand public, professionnels, étudiants et chercheurs).

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  • Des recensions d’ouvrages intéressants d’un point de vue éthique
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