Le diagnostic du TDAH, sa réalité et son éventuel sur-diagnostic suscitent des débats intenses parmi les professionnels de la santé, les chercheurs et les parents.
Le Trouble de Déficit de l'Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) est un diagnostic courant chez les enfants et est devenu un problème de santé publique. Plusieurs congrès et colloques se tiennent chaque année sur le thème et l’organisation de la prise en charge. Ce trouble est caractérisé par des symptômes d'inattention, d'hyperactivité et d'impulsivité et il fait partie des troubles du neuro-développement (TND) dont l’existence est maintenant actée depuis plusieurs années avec le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5ᵉ édition), une référence essentielle pour le diagnostic d’affections mentales pour lesquelles il fournit des critères diagnostiques précis et des descriptions détaillées des symptômes.
Comment sont définis les troubles du neuro-développement au sein du DSM-5 et pour les neuro-pédiatres ? Ils se caractérisent par une perturbation du développement cognitif ou affectif de l’enfant qui entraine un retentissement important sur le fonctionnement d’adaptation scolaire, sociale et familiale. Ils regroupent les handicaps intellectuels, les troubles de la communication, les troubles du spectre autistique, les troubles des apprentissages, moteurs et on y inclut le TDAH. On reconnait des facteurs de risque comme la grande prématurité, l’exposition à l’alcool ou à des infections pendant la vie fœtale, l’anoxie néonatale en particulier.
Des textes officiels rendent compte de leur prise en charge « Nouvelle stratégie nationale pour les TND 2023-2027 » publiée le 14/11/2023 sur le site www.handicap.gouv . Les TND concerneraient 1 enfant sur 6 et le TDAH 6% des enfants. Un livret est proposé pour repérer un développement inhabituel chez les enfants de moins de 7 ans. Ce livret insiste sur la notion de plasticité du cerveau qui évolue, s’adapte et se réorganise particulièrement dans les trois premières années de la vie. Les interventions précoces sont censées améliorer la trajectoire du développement des enfants présentant un TND. Une initiative gouvernementale s’est inscrite dans cette idée d’intervention précoce avec l’objectif national des « mille jours » et l’on retrouve cette idée dans un article de Marie Farmer « mille jours pour changer l’avenir : les signes précoces de TND permettant une prise en charge précoce », Périnatalité2021/2 (vol13) p.68-76
Le TDAH fait donc partie des TND, associé ou non à d’autres troubles. On en retrouve la définition sur différents sites (le DSM-5, le site de l’hôpital Robert DEBRE) où il est qualifié de trouble neurobiologique caractérisé par trois symptômes : un déficit de l’attention, une hyperactivité, une impulsivité. On observe cliniquement des enfants intolérants à la frustration, plus irritables, avec un sommeil difficile, des routines difficiles à établir, un retard dans l’acquisition de la propreté, des changements fréquents de jeux, des difficultés scolaires avec démotivation, des comportements d’opposition, de colère, d’agressivité, des conflits avec les pairs. La classification du DSM-5 définit le TDAH comme une entité, une pathologie spécifique éventuellement associée à d’autres affections supposées indépendantes.
Les recherches en neuro-développement affirment que le TDAH serait associé à des anomalies structurelles et fonctionnelles dans le cerveau. Une étude récente publiée dans le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry affirme que les enfants diagnostiqués avec un TDAH présentent des différences significatives dans les régions du cerveau impliquées dans l'attention et le contrôle des impulsions (Cortese et al., 2021). Une méta-analyse publiée dans The Lancet a conclu que les médicaments stimulants, tels que le méthylphénidate, sont efficaces pour réduire les symptômes du TDAH et améliorer la qualité de vie des enfants (Cortese et al., 2018) et qu’ils devraient être systématiquement associés à des interventions cognitivo-comportementales. Parmi les familles qui acceptent de donner à leur enfant le Méthylphénidate, on peut souvent constater des bénéfices importants sur le plan de la vie familiale et de l’adaptation scolaire ainsi que les résultats scolaires. Une étude longitudinale publiée dans le Journal of Child Psychology and Psychiatry affirme qu’un diagnostic précoce et un traitement approprié du TDAH peuvent avoir un impact positif et que les enfants diagnostiqués et traités pour le TDAH avaient de meilleurs résultats scolaires et une meilleure intégration sociale à long terme (Biederman et al., 2020). S’agit-il pour autant d’indications toujours acceptables S’agit-il de « calmer » des enfants turbulents, mais qui ne seraient pas forcément des enfants présentant un réel TDAH ? Enfin, le méthylphénidate peut avoir des effets secondaires, tels que l'insomnie, la perte d'appétit et des troubles cardiovasculaires. Une revue systématique publiée dans Cochrane Database of Systematic Reviews conclut que les effets secondaires des médicaments stimulants peuvent être significatifs et doivent être pris en compte lors de la décision de traitement (Storebø et al., 2015).
Le diagnostic du TDAH, sa réalité et son éventuel sur-diagnostic suscite des débats intenses parmi les professionnels de la santé, les chercheurs et les parents.
Les critiques concernent beaucoup le caractère neurobiologique organique du TDAH et insistent sur la qualité de vie des premières années de vie de l’enfant ainsi que sur la place donnée ou laissée à l’enfant dans nos sociétés occidentales. Ainsi Golse évoque la notion d'enfant non conforme et le risque de pathologisation de l'enfant dans une société elle-même agitée et troublée. Plus une société est agitée, moins elle tolère les enfants agités, mais plus elle crée les conditions de leur agitation. (Lazaratou et Golse, 2018). Dans « l’enfant non conforme ? » collection « le carnet/psy » janvier 2021 éd. ERES, il évoque la notion de néoténie : le nouveau-né humain est tout à fait inachevé ainsi que le cerveau et il est entièrement dépendant de son entourage. Le développement humain se joue à l’interface des facteurs endogènes (biologiques) et exogènes (alimentaire, écologique, social et relationnel). Tout cela débouche sur l’impact majeur de la qualité des soins précoces ou de la maltraitance précoce sur la construction et l’organisation du cerveau de l’enfant. Chaque enfant a son rythme de développement et de maturation psychique qui lui est propre. En ce qui concerne le TDAH lui-même, il est difficile de trouver une limite précise entre variation normale du contrôle de la motricité et de l’action au cours du développement et ce qui correspondrait à un trouble pathologique authentique. Les échelles (Conners), qui quottent les symptômes présentés par un enfant auprès des parents qui les remplissent ne font que recueillir le jugement subjectif des parents ou des enseignants, transformé en un score chiffré. Les comorbidités sont importantes avec un recouvrement par d’autres troubles comme le comportement d’opposition, les troubles des conduites, les troubles anxieux, la dépression. Pour aller dans le même sens, un communiqué de l’Académie nationale de Médecine du 7/09/2022 est intitulé : « les parents acteurs du neurodéveloppement de leur enfant. ». Il insiste sur la notion d’attachement, de l’importance de la co-construction précoce émotionnelle et psycho-affective entre parents et enfant. www.academie-medecine.fr . On peut également utilement rappeler l’expérience hongroise de l’institut LOCZY de 1946 à 2011 qui semble montrer sur une longue période la prévention de l’hyperactivité par la qualité des soins précoces.
Des positions très critiques s’élèvent contre l’extension actuelle du diagnostic de TDAH qui relèveraient en fait pour beaucoup de troubles de la relation et du lien social ou de conflits psychiques où il faut relever des facteurs de risque tels que la pauvreté, les carences éducatives. On observe une augmentation des diagnostics de TDAH et une médicalisation des comportements d’enfants turbulents avec des variations du taux de diagnostic importants d’un pays à l’autres en fonction de la culture et la société (Polanczyk et al., 2014).
Anne Delègue souligne dans un article paru dans la nouvelle revue de l'enfance et de l'adolescence 2024/1 n° 19 p.131-136, la tendance à diagnostiquer et à médicaliser les comportements des enfants qui peut refléter une société en quête de conformité et de contrôle. Cette pathologisation des comportements peut avoir des conséquences importantes sur le développement et le bien-être des enfants. Elle estime que le DSM-5 crée des groupes homogènes de patients en rubriques pseudo-syndromiques pour faciliter la recherche clinique et biologique conduisant à une pathologisation de l’existence et en lien avec les groupes de pression dont l’industrie pharmaceutique. L’école joue un rôle certain en raison des pressions et des contraintes croissantes faites aux enseignants (protocoles, normes, évaluation, contrôle, classes inclusives et surchargées) qui ont un lien direct avec le vécu des enfants et leur entrée dans le circuit du handicap via les différents diagnostics de TND. De véritables cercles vicieux se mettent en place avec des sentiments d’exclusion et de souffrance augmentant les manifestations symptomatiques.
Elle estime que ce type de trouble est contemporain du jeune âge et correspond à la période des grands développements. Certains troubles sont nommés neurobiologiques alors que d’autres facteurs relationnels, sociaux et psychiques ne sont pas pris en compte. Pour autant, elle reconnait que le développement neurologique puisse être perturbé du fait de causes génétiques et/ou médicales mais que cette situation ne peut être élargie au grand ensemble des difficultés ainsi désignées. Elle estime qu’il y a des conséquences graves de cette dénomination pour l’enfant, sa considération et ses prises en charge.
De façon parallèle, citons d’autres psychiatres dans le débat : Dans son ouvrage "Le TDAH, une épidémie fabriquée" (2019), le psychiatre François Gonon soutient que le TDAH est souvent sur-diagnostiqué et que les traitements médicamenteux sont prescrits de manière excessive. Il met en avant les effets secondaires des médicaments et les risques de dépendance, tout en soulignant l'importance d'une approche plus holistique et personnalisée pour traiter les symptômes du TDAH. Ursula Renard et Sébastien Ponnou, dans leur étude "Tous hyperactifs ? L'incroyable épidémie de troubles de l'attention" (2019), mettent en lumière les préoccupations concernant la surmédicalisation des comportements des enfants. Ils soulignent que le diagnostic du TDAH est souvent influencé par des facteurs sociaux et culturels, et que les traitements médicamenteux sont parfois prescrits sans une évaluation suffisante des causes sous-jacentes des symptômes. Patrick Landman, psychiatre met en avant l'importance de comprendre les symptômes du TDAH dans le contexte des dynamiques familiales et des expériences émotionnelles de l'enfant. Il soutient que les approches psychanalytiques peuvent offrir des solutions plus durables et moins invasives que les traitements médicamenteux.
L’implication financière dans la Prise en Charge des Enfants avec TDAH n’est pas négligeable. Les médicaments utilisés pour traiter le TDAH sont coûteux et en France, ils sont pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie. Avec la multiplication des prescriptions, on constate un épuisement des stocks disponibles. Les laboratoires pharmaceutiques jouent un rôle de lobby dans le diagnostic et le traitement du TDAH. Une étude publiée dans PLoS Medicine a révélé que les laboratoires pharmaceutiques exercent une influence significative sur les pratiques de prescription des médecins, ce qui peut conduire à une surmédicalisation. (Lexchin et al., 2016). Ils investissent massivement dans le marketing et la promotion de leurs produits. Une étude publiée dans The British Medical Journal a montré que les campagnes de marketing des laboratoires pharmaceutiques peuvent influencer les perceptions des médecins et des patients concernant le TDAH, ce qui peut conduire à une augmentation des diagnostics et des prescriptions (Moynihan et al., 2013). Les interventions d’accompagnement psychologique et comportemental ne sont pas toujours prises en charge, ce qui peut représenter un investissement financier important pour les familles. Une étude publiée dans Pediatrics a révélé que les coûts des interventions comportementales peuvent être un obstacle majeur pour les familles à faible revenu (Russell et al., 2018). Elles sont ainsi souvent absentes de la prise en charge au seul bénéfice de la prise de méthylphenidate.
Voici donc les questions éthiques critiques que l’on peut légitimement se poser :
Le TDAH est considéré comme un trouble du neuro-développement sans que l’on puisse reconnaitre de façon précise ses limites entre la norme et la pathologie. On peut légitimement se poser la question des critères du DSM-5.
Il est actuellement en voie de sur-diagnostic et de médicalisation excessive où interviennent des enjeux financiers. Les taux de diagnostic du TDAH varient considérablement d'un pays à l'autre, suggérant que des facteurs culturels et sociaux influencent le diagnostic. Il existe une augmentation des prescriptions qui désormais sont à disposition du pédiatre libéral et non du médecin hospitalier psychiatre ou neurologue après un vrai bilan d’évaluation. Les effets secondaires des médicaments et les risques de dépendance ne sont pas négligeables. La prise en charge par les thérapies comportementales est difficile pour obtenir un remboursement de soins avec des délais de prise en charge longs. Celles-ci ne prennent pas en compte l’enfant dans sa globalité avec son mal-être. Les nouvelles directives nationales concernant la santé mentale des enfants et des adolescents prennent pour fondement uniquement l’aspect neurobiologique. On peut craindre de laisser de côté la place de l’enfant dans son environnement, la médicalisation de l’enfant, de ses difficultés psychiques et de développement, le faisant entrer dans le circuit du handicap avec des conséquences pour sa construction identitaire, narcissique et son avenir.
La réflexion concernant les liens d’attachement précoce, la qualité des soins précoces représente un enjeu de santé publique et d’éducation parentale justifiant la nécessité de développer les réseaux de soins dans les services de protection maternelle et infantile (PMI) avec les lieux d’accueil parents enfants (LAPE). Il est souhaitable de faire jouer à l’initiative nationale des 1000 jours toute sa place dans ce domaine, bien avant une prise en charge des symptômes de souffrance observés dans le TDAH.
Il y a donc lieu d’insister sur l’importance de la qualité des soins précoces, la notion d’attachement, de la relation sociale et familiale pour tenter d’éviter l’apparition des symptômes évocateurs du TDAH. Mais une fois établis les symptômes correspondant au TDAH avec les troubles de l’attention, l’impulsivité, l’hyperactivité, qui retentissent sur la vie de l’enfant et la vie de son entourage chez l’enfant scolarisé, que proposer à l’enfant et à sa famille ? Afin de rester dans la normalité, une prise en charge psychothérapique avec éventuellement une prescription médicamenteuse qui soulage la souffrance de l’enfant et de son entourage permet à l’enfant une adaptation sociale et scolaire.
Cependant, comment affronter la notion de l’enfant sujet ou objet, enfant dont on dit qu’il est porteur d’un TDAH avec un risque de stigmatisation et qu’est-ce que la normalité dans une société donnée, en temps et en lieu ? On comprend au regard de tout ce qui précède qu'il n’y a pas de diagnostic précis de ce « trouble », il n’y a pas de preuve neurobiologique avérée, et le normal et le pathologique se recoupent dans les symptômes. Le normal dans notre société, où est-il ? Les symptômes que présente l’enfant sont-ils les signes d’une maladie ou plus généralement d’un malaise dans la société troublée plus que jamais, comme semble l’écrire Bernard Golse plus haut ? La part des écrans, des réseaux sociaux avec le « zapping », de l’absence d’éducation de la ténacité, de moments de calme, joue un rôle dans ces troubles pour beaucoup d’enfants de notre société. La diversité des comportements de l’enfance fait partie de sa richesse et de sa créativité. Cet enfant symptôme nous parle à nous adultes et nous remet en question.
Enfin, cet enfant, aujourd’hui défini par son TDAH, vers quel avenir va-t-il ? Devra-t-il toute sa vie pour rester dans la normalité prendre des médicaments ?