Octobre 2024 - n°11

édito

Les lois de bioéthique fêtent leurs 30 ans !

Laure Pesch,
coordinatrice site alsacien de l’EREGE

Avec les lois de juillet 1994, la France devient le premier pays à se doter d’un arsenal juridique en matière de bioéthique.

Déjà engagée dans une réflexion éthique sur les progrès de la recherche dans le domaine de la santé et des sciences du vivant avec la création du CCNE en 1983 , la France devient avec les lois de juillet 1994, le premier pays à se doter d’un arsenal juridique en matière de bioéthique.
Les deux lois du 29 juillet 1994 consacrent le principe, initié lors du procès des médecins nazis à Nuremberg en juillet 1947 selon lequel l’homme ne peut, en aucune manière, être un moyen dans la recherche ou dans le soin. Elles posent ainsi des limites et des règles aux pratiques médicales et de recherche, dont l’objet est le corps humain, l’embryon, les organes et les tissus. Ces deux lois introduisent les principes du respect du corps humain (avec entre autres les notions de primauté de la personne sur tout autre intérêt, l’absence de caractère commercial du corps humain, son inviolabilité et sa dignité), de protection de l’embryon humain, et déterminent les conditions de la PMA, des dons et de l’utilisation des éléments et produits du corps humain (dont l’anonymat et la gratuité).

La bioéthique croise, en contexte d’incertitude, des valeurs et des attentes plurielles. Elle est en tension permanente entre les possibilités ouvertes par les sciences du vivant, les besoins et les désirs de comprendre et d’expérimenter des chercheurs, les désirs individuels face aux promesses de la science et de ses découvertes, et le projet collectif des sociétés. Confrontée au réel des avancées scientifiques et des demandes sociétales, la bioéthique oblige à des questionnements sans cesse renouvelés : les avancées scientifiques sont-elles toujours sources de progrès ? Quels sont ou seront les impacts sur la société de telle ou telle technique ? Ce qui est faisable est-il toujours souhaitable ? Quel rôle ont les citoyens dans ce projet humain ? Quelle humanité pour demain ?
Souvent critiquées comme étant des freins à la recherche, ou ayant un soi-disant « retard » sur la société, les lois de bioéthique sont révisées régulièrement (2004-2011-2021). Le but ? Trouver un juste équilibre entre la prise en compte des découvertes, les aspirations sociétales, les innovations et les attentes des chercheurs. Des limites admises ont ainsi été revues (levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, autoconservation des ovocytes), de nouveaux sujets intégrés (intelligence artificielle et neuroscience en 2021), des contraintes modulées (initiation du consentement à priori dans le prélèvement d’organes en 2004, assouplissement des autorisations de recherche sur les cellules souches embryonnaires).
Pour discuter de ces questions le citoyen est, depuis 2011, invité, lors d’états généraux organisés en région par les espaces de réflexion éthique (ERER), à s’emparer de ces sujets. Échanger et dialoguer avec les scientifiques, connaître, comprendre, dire et faire remonter propositions, craintes et attentes, tel est le pari de ce processus démocratique innovant.
À l’occasion de ce trentième anniversaire, rappelons que tant que la réflexion bioéthique ne traitera pas du vivant dans son ensemble (humain-animaux-végétaux), elle restera amputée d’une partie d’elle-même.

Rappelons-nous aussi que, si la loi ne fait pas l’homme vertueux, comme l’a rappelé le scandale du charnier de l’université Descartes (condition de conservation indigne des corps), elle permet d’ancrer des principes, d’organiser la discussion et de poser des interdits ouvrant ainsi le droit à la révolte et à l’indignation. C’est la force, entre autres, du cadre législatif tel que posé par les lois de bioéthique en France.

Définition

Explication d'un thème lié au questionnement éthique

Laure Pesch, coordinatrice du site d'appui alsacien

Intersectionnalité

Un concept issu du militantisme féministe afro-américain qui pourrait aider à mieux comprendre les ISS (inégalités sociales de santé)

Un concept issu du militantisme féministe afro-américain

Le concept d’intersectionnalité a pour origine la sphère militante et plus particulièrement celle du militantisme féministe afro-américain. Il apparaît dans les études de genre des années 80 aux États-Unis et est formalisé en 2017 par Kimberlé Creenshaw, juriste dans On Intersectionnality et .
Même si cette théorie a pris plusieurs formes, l’illustration originelle et la plus commune de ce concept, est la femme afro-américaine qui vit de manière incarnée différentes formes d’oppression auxquelles elle doit faire face : en tant que femme -oppression non reconnue dans la militance émancipatrice afro-américaine masculine-, en tant qu’afro-américaine –non reconnue dans la militance féministe blanche des classes moyennes-.

L’intersectionnalité est un concept qui a une portée critique

Du point de vue théorique, elle permet de penser les effets combinés des inégalités dans l’idée que différentes discriminations ne font pas que s'additionner, mais qu’elles se renforcent mutuellement.
L’intersectionnalité est aussi une critique : celle des mouvements sociaux revendicatifs de droits au sein desquels les caractéristiques identitaires (de genre, de religion, d’appartenance à un groupe ethnicisé, d’orientation sexuelle, de capacité) ne sont pas identifiées alors même qu’ils se trouvent à l’intersection de plusieurs formes de discriminations et d’inégalités ; celle de la hiérarchisation des identités en le refusant ; celle de la vision uniforme des groupes et des communautés.

L’intersectionnalité appelle ainsi à une identification nouvelle des situations de discrimination par l’analyse de la co-construction de différents éléments de discrimination.
Avec ce concept, on pense construction et non accumulation, ou co-substantialité. On s’intéresse aux nœuds entre des axes de discrimination.

En quoi le concept d’intersectionnalité peut-il intéresser l’éthique en santé ?

L’intersectionnalité peut intéresser l’éthique du soin en plusieurs points. En décentrant le regard porté sur les personnes, en sortant des schémas normatifs et d’une vision statique des situations rencontrées. Elle oblige à la profondeur de champ, à la compréhension fine et dynamique de situations qui ne peuvent se dissoudre dans un ensemble plus grand.
L’approche intersectionnelle peut conduire à de l’innovation sociale pour une appréhension plus fine des inégalités sociales de santé, par exemple, ou l’accompagnement, là où parfois les soignants, les professionnels du social se retrouvent, ou se ressentent en échec.

Elle peut aussi inviter à interroger et appréhender différemment les principes d’autonomie, de justice et de non malveillance. Principes dont l’observance dans la décision de soin ou l’accompagnement social perdraient de leur binarité pour s’ouvrir à davantage de modulation et de personnalisation.
Cette approche présente l’intérêt comme le propose Estelle Carde sociologue à l’Université de Montréal, « comment peut-elle (la perspective intersectionnelle) aider à lire, dans la santé des individus, la trace des rapports inégalitaires multiples, imbriqués et co-construits dans lesquels ils sont pris ? »
Peut-être s’agit-il d’un concept supplémentaire utile pour débusquer l’injustice des ISS et en comprendre plus finement les éléments constitutifs et aller vers un mieux agir en matière de santé publique ?

Pour illustrer le concept d’intersectionnalité : Rapport de la Cour des comptes « L’accompagnement des personnes en situation de handicap vieillissantes » Septembre 2023

Pour illustrer le concept d’intersectionnalité, on peut lire avec profit le récent rapport de la Cour des comptes, accessible en ligne. Une personne en situation de handicap vieillissante est une personne qui a entamé ou connu sa situation de handicap (quelle qu’en soit la nature ou la cause) avant de ressentir les premiers effets du vieillissement. Ce vieillissement apparaît à un âge plus précoce que celui de la population générale, souvent avant 50 ans.
La croissance en nombre des personnes en situation de handicap vieillissantes, fruit des progrès de la médecine et de l’accompagnement, est apparue au début de ce siècle et va en s’accélérant. Ce qui devrait apparaître comme une amélioration n’est pas sans poser problème par ailleurs, du fait des difficultés de ces personnes à trouver leur place : les structures dédiées au handicap adulte sont souvent inadaptées à l’augmentation des problématiques médicales qui accompagnent le vieillissement ; les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) peinent à intégrer des personnes qui certes sont vieillissantes, mais ont 20 à 30 ans de moins que la population accueillie et à répondre à leurs besoins socio-éducatifs ; enfin, leur maintien à domicile est fragilisé par le vieillissement des aidants familiaux.
Ces difficultés sont accentuées par le manque actuel de personnel, quel que soit le lieu d’hébergement, et par des problématiques financières et administratives ne facilitant pas le parcours dont la plus illustrative est la différence de prise en charge du handicap avant et après 60 ans (où le handicap devient dépendance !) tant sur le plan de l’évaluation des incapacités que de leur financement.

Parmi les situations les plus complexes, le rapport cite notamment :

  • L’accueil en établissement des personnes en situation de handicap de plus de 45 ans (soit du fait d’un handicap acquis tardivement ou d’un défaut de l’aidance les obligeant à quitter leur domicile) est particulièrement difficile : trop vieux pour les structures de handicap (taux de réponse moyen pour une admission à 33% alors qu’il est de 60% pour les moins de 25 ans) trop jeune pour les Ehpad.
  • Les personnes accueillies en Établissements ou Services d’Aide par le Travail (Esat) dont la cessation d’activité professionnelle (en moyenne à 42 ans) oblige parfois aussi de quitter leur logement et marque ainsi la fin d’un accompagnement social, d’un environnement amical ou affectif, d’activités de stimulation, d’échanges.
  • Les personnes porteuses d’un handicap psychique se retrouvent souvent en situation de grande précarité du fait de l’isolement et des difficultés dans les démarches administratives. Les hospitalisations psychiatriques sont fréquentes et souvent prolongées pour motif social. Après 60 ans, une entrée en Ehpad peut être envisagée mais avant 60 ans les difficultés à entrer en établissements en France les conduisent souvent à être hébergé en Belgique, quand ils ne deviennent pas SDF.

Les solutions à ces situations complexes et plurielles, ébauchées en fin de rapport, passent par une meilleure connaissance de cette population, le développement d’une palette diversifiée de réponses, un pilotage plus coordonné entre les ARS et les départements et… un financement en rapport avec le service attendu et rendu tant du côté des établissements du handicap pour permettre le maintien en structure avec l’âge que du côté des Ehpad pour faciliter l’admission.
Ce rapport montre comment l’approche intersectionnelle est pertinente et peut enrichir à la fois l’identification et la compréhension de la construction de nouvelles vulnérabilités complexes issues de la combinaison, du croisement, de l’amplification de problématiques cumulatives.

Recherche

Coups d’œil sur la recherche en éthique

Pr Christophe de Champs, président du Conseil d'orientation champardennais de l'EREGE et Dr Yves Alembik, président du Conseil d'orientation alsacien de l'EREGE

Questions éthiques autour du diagnostic du trouble du déficit de l’attention ou TDAH

Yves Alembik,
président du Conseil d’orientation alsacien

Le diagnostic du TDAH, sa réalité et son éventuel sur-diagnostic suscitent des débats intenses parmi les professionnels de la santé, les chercheurs et les parents.

Le Trouble de Déficit de l'Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) est un diagnostic courant chez les enfants et est devenu un problème de santé publique. Plusieurs congrès et colloques se tiennent chaque année sur le thème et l’organisation de la prise en charge. Ce trouble est caractérisé par des symptômes d'inattention, d'hyperactivité et d'impulsivité et il fait partie des troubles du neuro-développement (TND) dont l’existence est maintenant actée depuis plusieurs années avec le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5ᵉ édition), une référence essentielle pour le diagnostic d’affections mentales pour lesquelles il fournit des critères diagnostiques précis et des descriptions détaillées des symptômes.

Comment sont définis les troubles du neuro-développement au sein du DSM-5 et pour les neuro-pédiatres ? Ils se caractérisent par une perturbation du développement cognitif ou affectif de l’enfant qui entraine un retentissement important sur le fonctionnement d’adaptation scolaire, sociale et familiale. Ils regroupent les handicaps intellectuels, les troubles de la communication, les troubles du spectre autistique, les troubles des apprentissages, moteurs et on y inclut le TDAH. On reconnait des facteurs de risque comme la grande prématurité, l’exposition à l’alcool ou à des infections pendant la vie fœtale, l’anoxie néonatale en particulier.

Des textes officiels rendent compte de leur prise en charge « Nouvelle stratégie nationale pour les TND 2023-2027 » publiée le 14/11/2023 sur le site www.handicap.gouv . Les TND concerneraient 1 enfant sur 6 et le TDAH 6% des enfants. Un livret est proposé pour repérer un développement inhabituel chez les enfants de moins de 7 ans. Ce livret insiste sur la notion de plasticité du cerveau qui évolue, s’adapte et se réorganise particulièrement dans les trois premières années de la vie. Les interventions précoces sont censées améliorer la trajectoire du développement des enfants présentant un TND. Une initiative gouvernementale s’est inscrite dans cette idée d’intervention précoce avec l’objectif national des « mille jours » et l’on retrouve cette idée dans un article de Marie Farmer « mille jours pour changer l’avenir : les signes précoces de TND permettant une prise en charge précoce », Périnatalité2021/2 (vol13) p.68-76

Le TDAH fait donc partie des TND, associé ou non à d’autres troubles. On en retrouve la définition sur différents sites (le DSM-5, le site de l’hôpital Robert DEBRE) où il est qualifié de trouble neurobiologique caractérisé par trois symptômes : un déficit de l’attention, une hyperactivité, une impulsivité. On observe cliniquement des enfants intolérants à la frustration, plus irritables, avec un sommeil difficile, des routines difficiles à établir, un retard dans l’acquisition de la propreté, des changements fréquents de jeux, des difficultés scolaires avec démotivation, des comportements d’opposition, de colère, d’agressivité, des conflits avec les pairs. La classification du DSM-5 définit le TDAH comme une entité, une pathologie spécifique éventuellement associée à d’autres affections supposées indépendantes.

Les recherches en neuro-développement affirment que le TDAH serait associé à des anomalies structurelles et fonctionnelles dans le cerveau. Une étude récente publiée dans le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry affirme que les enfants diagnostiqués avec un TDAH présentent des différences significatives dans les régions du cerveau impliquées dans l'attention et le contrôle des impulsions (Cortese et al., 2021). Une méta-analyse publiée dans The Lancet a conclu que les médicaments stimulants, tels que le méthylphénidate, sont efficaces pour réduire les symptômes du TDAH et améliorer la qualité de vie des enfants (Cortese et al., 2018) et qu’ils devraient être systématiquement associés à des interventions cognitivo-comportementales. Parmi les familles qui acceptent de donner à leur enfant le Méthylphénidate, on peut souvent constater des bénéfices importants sur le plan de la vie familiale et de l’adaptation scolaire ainsi que les résultats scolaires. Une étude longitudinale publiée dans le Journal of Child Psychology and Psychiatry affirme qu’un diagnostic précoce et un traitement approprié du TDAH peuvent avoir un impact positif et que les enfants diagnostiqués et traités pour le TDAH avaient de meilleurs résultats scolaires et une meilleure intégration sociale à long terme (Biederman et al., 2020). S’agit-il pour autant d’indications toujours acceptables S’agit-il de « calmer » des enfants turbulents, mais qui ne seraient pas forcément des enfants présentant un réel TDAH ? Enfin, le méthylphénidate peut avoir des effets secondaires, tels que l'insomnie, la perte d'appétit et des troubles cardiovasculaires. Une revue systématique publiée dans Cochrane Database of Systematic Reviews conclut que les effets secondaires des médicaments stimulants peuvent être significatifs et doivent être pris en compte lors de la décision de traitement (Storebø et al., 2015).

Le diagnostic du TDAH, sa réalité et son éventuel sur-diagnostic suscite des débats intenses parmi les professionnels de la santé, les chercheurs et les parents.

Les critiques concernent beaucoup le caractère neurobiologique organique du TDAH et insistent sur la qualité de vie des premières années de vie de l’enfant ainsi que sur la place donnée ou laissée à l’enfant dans nos sociétés occidentales. Ainsi Golse évoque la notion d'enfant non conforme et le risque de pathologisation de l'enfant dans une société elle-même agitée et troublée. Plus une société est agitée, moins elle tolère les enfants agités, mais plus elle crée les conditions de leur agitation. (Lazaratou et Golse, 2018). Dans « l’enfant non conforme ? » collection « le carnet/psy » janvier 2021 éd. ERES, il évoque la notion de néoténie : le nouveau-né humain est tout à fait inachevé ainsi que le cerveau et il est entièrement dépendant de son entourage. Le développement humain se joue à l’interface des facteurs endogènes (biologiques) et exogènes (alimentaire, écologique, social et relationnel). Tout cela débouche sur l’impact majeur de la qualité des soins précoces ou de la maltraitance précoce sur la construction et l’organisation du cerveau de l’enfant. Chaque enfant a son rythme de développement et de maturation psychique qui lui est propre. En ce qui concerne le TDAH lui-même, il est difficile de trouver une limite précise entre variation normale du contrôle de la motricité et de l’action au cours du développement et ce qui correspondrait à un trouble pathologique authentique. Les échelles (Conners), qui quottent les symptômes présentés par un enfant auprès des parents qui les remplissent ne font que recueillir le jugement subjectif des parents ou des enseignants, transformé en un score chiffré. Les comorbidités sont importantes avec un recouvrement par d’autres troubles comme le comportement d’opposition, les troubles des conduites, les troubles anxieux, la dépression. Pour aller dans le même sens, un communiqué de l’Académie nationale de Médecine du 7/09/2022 est intitulé : « les parents acteurs du neurodéveloppement de leur enfant. ». Il insiste sur la notion d’attachement, de l’importance de la co-construction précoce émotionnelle et psycho-affective entre parents et enfant. www.academie-medecine.fr . On peut également utilement rappeler l’expérience hongroise de l’institut LOCZY de 1946 à 2011 qui semble montrer sur une longue période la prévention de l’hyperactivité par la qualité des soins précoces.

Des positions très critiques s’élèvent contre l’extension actuelle du diagnostic de TDAH qui relèveraient en fait pour beaucoup de troubles de la relation et du lien social ou de conflits psychiques où il faut relever des facteurs de risque tels que la pauvreté, les carences éducatives. On observe une augmentation des diagnostics de TDAH et une médicalisation des comportements d’enfants turbulents avec des variations du taux de diagnostic importants d’un pays à l’autres en fonction de la culture et la société (Polanczyk et al., 2014).

Anne Delègue souligne dans un article paru dans la nouvelle revue de l'enfance et de l'adolescence 2024/1 n° 19 p.131-136, la tendance à diagnostiquer et à médicaliser les comportements des enfants qui peut refléter une société en quête de conformité et de contrôle. Cette pathologisation des comportements peut avoir des conséquences importantes sur le développement et le bien-être des enfants. Elle estime que le DSM-5 crée des groupes homogènes de patients en rubriques pseudo-syndromiques pour faciliter la recherche clinique et biologique conduisant à une pathologisation de l’existence et en lien avec les groupes de pression dont l’industrie pharmaceutique. L’école joue un rôle certain en raison des pressions et des contraintes croissantes faites aux enseignants (protocoles, normes, évaluation, contrôle, classes inclusives et surchargées) qui ont un lien direct avec le vécu des enfants et leur entrée dans le circuit du handicap via les différents diagnostics de TND. De véritables cercles vicieux se mettent en place avec des sentiments d’exclusion et de souffrance augmentant les manifestations symptomatiques.

Elle estime que ce type de trouble est contemporain du jeune âge et correspond à la période des grands développements. Certains troubles sont nommés neurobiologiques alors que d’autres facteurs relationnels, sociaux et psychiques ne sont pas pris en compte. Pour autant, elle reconnait que le développement neurologique puisse être perturbé du fait de causes génétiques et/ou médicales mais que cette situation ne peut être élargie au grand ensemble des difficultés ainsi désignées. Elle estime qu’il y a des conséquences graves de cette dénomination pour l’enfant, sa considération et ses prises en charge.

De façon parallèle, citons d’autres psychiatres dans le débat : Dans son ouvrage "Le TDAH, une épidémie fabriquée" (2019), le psychiatre François Gonon soutient que le TDAH est souvent sur-diagnostiqué et que les traitements médicamenteux sont prescrits de manière excessive. Il met en avant les effets secondaires des médicaments et les risques de dépendance, tout en soulignant l'importance d'une approche plus holistique et personnalisée pour traiter les symptômes du TDAH. Ursula Renard et Sébastien Ponnou, dans leur étude "Tous hyperactifs ? L'incroyable épidémie de troubles de l'attention" (2019), mettent en lumière les préoccupations concernant la surmédicalisation des comportements des enfants. Ils soulignent que le diagnostic du TDAH est souvent influencé par des facteurs sociaux et culturels, et que les traitements médicamenteux sont parfois prescrits sans une évaluation suffisante des causes sous-jacentes des symptômes. Patrick Landman, psychiatre met en avant l'importance de comprendre les symptômes du TDAH dans le contexte des dynamiques familiales et des expériences émotionnelles de l'enfant. Il soutient que les approches psychanalytiques peuvent offrir des solutions plus durables et moins invasives que les traitements médicamenteux.

L’implication financière dans la Prise en Charge des Enfants avec TDAH n’est pas négligeable. Les médicaments utilisés pour traiter le TDAH sont coûteux et en France, ils sont pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie. Avec la multiplication des prescriptions, on constate un épuisement des stocks disponibles. Les laboratoires pharmaceutiques jouent un rôle de lobby dans le diagnostic et le traitement du TDAH. Une étude publiée dans PLoS Medicine a révélé que les laboratoires pharmaceutiques exercent une influence significative sur les pratiques de prescription des médecins, ce qui peut conduire à une surmédicalisation. (Lexchin et al., 2016). Ils investissent massivement dans le marketing et la promotion de leurs produits. Une étude publiée dans The British Medical Journal a montré que les campagnes de marketing des laboratoires pharmaceutiques peuvent influencer les perceptions des médecins et des patients concernant le TDAH, ce qui peut conduire à une augmentation des diagnostics et des prescriptions (Moynihan et al., 2013). Les interventions d’accompagnement psychologique et comportemental ne sont pas toujours prises en charge, ce qui peut représenter un investissement financier important pour les familles. Une étude publiée dans Pediatrics a révélé que les coûts des interventions comportementales peuvent être un obstacle majeur pour les familles à faible revenu (Russell et al., 2018). Elles sont ainsi souvent absentes de la prise en charge au seul bénéfice de la prise de méthylphenidate.

Voici donc les questions éthiques critiques que l’on peut légitimement se poser :
Le TDAH est considéré comme un trouble du neuro-développement sans que l’on puisse reconnaitre de façon précise ses limites entre la norme et la pathologie. On peut légitimement se poser la question des critères du DSM-5.

Il est actuellement en voie de sur-diagnostic et de médicalisation excessive où interviennent des enjeux financiers. Les taux de diagnostic du TDAH varient considérablement d'un pays à l'autre, suggérant que des facteurs culturels et sociaux influencent le diagnostic. Il existe une augmentation des prescriptions qui désormais sont à disposition du pédiatre libéral et non du médecin hospitalier psychiatre ou neurologue après un vrai bilan d’évaluation. Les effets secondaires des médicaments et les risques de dépendance ne sont pas négligeables. La prise en charge par les thérapies comportementales est difficile pour obtenir un remboursement de soins avec des délais de prise en charge longs. Celles-ci ne prennent pas en compte l’enfant dans sa globalité avec son mal-être. Les nouvelles directives nationales concernant la santé mentale des enfants et des adolescents prennent pour fondement uniquement l’aspect neurobiologique. On peut craindre de laisser de côté la place de l’enfant dans son environnement, la médicalisation de l’enfant, de ses difficultés psychiques et de développement, le faisant entrer dans le circuit du handicap avec des conséquences pour sa construction identitaire, narcissique et son avenir.

La réflexion concernant les liens d’attachement précoce, la qualité des soins précoces représente un enjeu de santé publique et d’éducation parentale justifiant la nécessité de développer les réseaux de soins dans les services de protection maternelle et infantile (PMI) avec les lieux d’accueil parents enfants (LAPE). Il est souhaitable de faire jouer à l’initiative nationale des 1000 jours toute sa place dans ce domaine, bien avant une prise en charge des symptômes de souffrance observés dans le TDAH.

Il y a donc lieu d’insister sur l’importance de la qualité des soins précoces, la notion d’attachement, de la relation sociale et familiale pour tenter d’éviter l’apparition des symptômes évocateurs du TDAH. Mais une fois établis les symptômes correspondant au TDAH avec les troubles de l’attention, l’impulsivité, l’hyperactivité, qui retentissent sur la vie de l’enfant et la vie de son entourage chez l’enfant scolarisé, que proposer à l’enfant et à sa famille ? Afin de rester dans la normalité, une prise en charge psychothérapique avec éventuellement une prescription médicamenteuse qui soulage la souffrance de l’enfant et de son entourage permet à l’enfant une adaptation sociale et scolaire.

Cependant, comment affronter la notion de l’enfant sujet ou objet, enfant dont on dit qu’il est porteur d’un TDAH avec un risque de stigmatisation et qu’est-ce que la normalité dans une société donnée, en temps et en lieu ? On comprend au regard de tout ce qui précède qu'il n’y a pas de diagnostic précis de ce « trouble », il n’y a pas de preuve neurobiologique avérée, et le normal et le pathologique se recoupent dans les symptômes. Le normal dans notre société, où est-il ? Les symptômes que présente l’enfant sont-ils les signes d’une maladie ou plus généralement d’un malaise dans la société troublée plus que jamais, comme semble l’écrire Bernard Golse plus haut ? La part des écrans, des réseaux sociaux avec le « zapping », de l’absence d’éducation de la ténacité, de moments de calme, joue un rôle dans ces troubles pour beaucoup d’enfants de notre société. La diversité des comportements de l’enfance fait partie de sa richesse et de sa créativité. Cet enfant symptôme nous parle à nous adultes et nous remet en question.

Enfin, cet enfant, aujourd’hui défini par son TDAH, vers quel avenir va-t-il ? Devra-t-il toute sa vie pour rester dans la normalité prendre des médicaments ?

événements

Un retour argumenté sur les manifestations réalisées ou soutenues par l’EREGE

Laure Pesch, coordinatrice du site d’appui alsacien

Cycle de webinaires : Me soigner demain : qui ? où ? comment ? pourquoi ?

Organisé par l’EREGE ce cycle de webinaires a pour objet de réfléchir collectivement sur ce que soigner signifie dans les territoires à l’aulne des changements rapides de notre société.

Le deuxième webinaire du cycle s’est tenu le 19 juin 2024 autour du thème « Système de santé : quels enjeux actuels et futurs ? »
Cette session aura permis de redire comment est organisé le système de soin en France et quelles sont les tensions qui le fondent intrinsèquement. Avec en fil directeur la compréhension des enjeux auxquels il est confronté aujourd’hui et comment il peut s’adapter pour répondre à une double exigence éthique fondamentale à savoir l’accès égal aux soins et le respect de chaque individu ?

REPLAY webinaire 2 : Système de santé : quels enjeux actuels et futurs

Forum Santé environnement : éthique de la contrainte - 6 septembre 2024 à l’auditorium de la BNU à Strasbourg

Face aux défis climatiques et environnementaux tenter d’imaginer les conditions de contraintes démocratiques et acceptables.

7 millions de personnes meurent chaque année dans le monde (OMS) parce qu’elles respirent un air trop chargé en particules fines. Neuf personnes sur dix sont exposées quotidiennement à un air contenant de « hauts niveaux de polluants ». En Europe, ce sont 500 000 morts chaque année, dont 48 000 en France. La pollution de l’air est désormais la troisième cause de mortalité, après l’alcool et le tabac, c’est déjà une sacrée contrainte et tout le monde sait qu’on peut s’attendre à pire.
L’EREGE Alsace propose de réfléchir à la façon de limiter les conséquences délétères du changement climatique lié aux émissions de CO2 en partant du constat que les nécessaires changements de modes de productions industrielles et agricoles, la nature et les formes d’investissements financiers comme d’attitudes politiques et individuelles ne se font pas suffisamment par le volontariat. D’où l’idée de la contrainte, inscrite évidemment dans le cadre démocratique.
Réunis en commission, des membres de l’EREGE, (IDE, juriste, médecins, journaliste) travaillent plusieurs mois pour construire un forum, ouvert à tous, dans un lieu à la fois central, confortable et libre d’accès, l’auditorium de la BNU à Strasbourg, pour tenter d’imaginer les conditions de formes de contraintes démocratiques et acceptables.
Le forum est ouvert à tous, et les participants sont invités à participer à la réflexion et à l’élaboration de propositions.
Nous convenons rapidement qu’il faudrait à la fois une approche surplombante et des expériences concrètes.
En 2022 la philosophe Joëlle Zask publie « Écologie et démocratie » (Ed. Premier Parallèle) : soit la démocratie est écologique, soit ce n’en est pas une, et réciproquement, soit l’écologie est démocratique, soit ce n’est pas de l’écologie.
La lecture de cet ouvrage conduit la commission à inviter madame Zask qui a accepté avec enthousiasme.
Vous la verrez dans la première partie de ce forum.
Autour d’elle, une discussion a été imaginée, animée par Marie Maheux, journaliste, avec divers acteurs, à différents niveaux, œuvrant en faveur de meilleures conditions environnementales et ayant, peu ou prou, envisagé la contrainte dans leurs actions : Caroline Tansley, Présidente de l’association Familles d’Illkirch, Yves Bur, ex-député du Bas-Rhin, à l’origine de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, Patrick Barbier, maire écologiste de Muttersholtz, David Cazier, Shift Project, François Zind, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement.

REPLAY : Forum Environnement ETHIQUE de la CONTRAINTE

culture

Tour d’horizon d’œuvres qui nous permettent d’aborder des questionnements éthiques de manière singulière

Laure Pesch, coordinatrice du site d'appui alsacien

Lecture ESSAI

De chaire et de fer. Vivre et lutter dans une société validiste

Charlotte Puiseaux Ed. La Découverte, 2022

Thème : Comment trouver sa place dans une société pensée par et pour les valides quand on est en situation de handicap ?

Charlotte Puiseux est psychologue et docteure en philosophie. Dans son ouvrage De chair et de Fer, elle nous dit comment, atteinte d’amyotrophie spinale, elle lutte quotidiennement contre les injonctions d’une société faite par et pour les personnes dites valides. Charlotte Puiseux nous démontre, exemples à l’appui, que notre société est fortement validiste (ou capacitiste), c’est-à-dire que nous vivons dans une société qui juge majoritairement les personnes vivant avec un handicap incapables de vivre les moments importants pouvant, si on le désire, jalonner une vie humaine (voyager, accéder à une vie affective et sexuelle, accéder à une scolarité épanouissante, accéder à la parentalité, etc.).
Page après page, elle raconte comment, après être passée du statut de « bébé en sursis » à celui d’enfant « handicapée » encorsetée et appareillée, elle a dû grandir à l’ombre d’une société structurée par un système de valeurs dominant faisant de la personne dite "valide", c’est-à-dire sans handicap, la norme sociale. Elle nous en fait d’ailleurs une présentation édifiante :
« J’écris sur le système d’oppression qui touche l’ensemble des personnes handicapées, qu’elles aient un handicap physique, psychique, sensoriel, cognitif, mental. J’écris sur le fait de ne pas correspondre aux normes médicales et sociales établissant les termes de la validité, sur sa production en tant que décision politique et émanant de rapports de domination. Qui a décidé que marcher, voir, entendre, utiliser le langage oral, percevoir la réalité d’une certaine façon… étaient des conditions pour qu’une vie soit jugée digne d’être vécue ? Et pour quelles raisons ? J’écris sur l’idéologie qui dicte que ces êtres humains classés dans la catégorie « handicapé » ont moins de valeur que les autres et sont considérés comme naturellement inférieurs. J’écris sur l’étendue de cette idéologie qui se déploie dans toutes les sphères de la société, parfois avec une extrême violence, souvent de manière insidieuse à travers les plus infimes gestes et attitudes des personnes valides, des détails qui s’incrustent en nous, personnes handicapées, et que nous intériorisons. J’écris sur les discriminations que nous subissons. J’écris sur le validisme. »
Tout au long de son livre, Charlotte Puiseux pose des questions simples mais vertigineuses dans leurs implications. Comment trouver sa place dans une société pensée par et pour les valides quand on est en situation de handicap ? Comment faire sa place dans une société qui a peur, qui rejette les personnes en situation de handicap ? Comment trouver sa place dans une société où les corps qui ne correspondent pas aux injonctions à la beauté normalisée sont invisibilisés ? Qu’est-ce qu’un projet de vie, si l’on n’est réduit qu’à manger, boire, dormir, aller aux toilettes ? Peut-on parler de handicap lorsqu’on est touché soi-même ? Une telle parole peut-elle être prise au sérieux dans la sphère médicale, publique, politique ? « Sommes-nous moins capables de réfléchir aux sujets qui nous touchent ? », demande-t-elle. Comment penser un travail possible et utile hors des codes spécifiques d’un capitalisme qui n’est que validité exaltée (vitesse, performance, productivité, flexibilité, fluidité, etc.), et qui, de fait, exclut souvent les personnes vivant avec un handicap ? Comment vivre avec un handicap invisible ? Comment vivre une handiparentalité solidaire, débarrassée de projections moralisatrices ? Charlotte Puiseux nous interpelle : qu’est-ce que ça fait d’être une femme, qui plus est handicapée, dans notre société ? Sa conseillère d’orientation lui dira d’ailleurs : « Tu sais, le monde il est fait pour les hommes, et tu es une femme. En plus, il est fait pour les valides, et tu es handicapée… » Enfin, qu’est-ce que ça fait d’être « trop normale pour être anormale et trop anormale pour être considérée comme normale » ?

Ainsi, Charlotte Puiseux nous invite à réfléchir, au travers de ces questions, sur nos constructions sociales. De la place qui est la sienne, elle est fière de pouvoir questionner le système institué qui permet difficilement une émancipation économique, physique, sociale, des personnes handicapées. Nous la suivons donc dans le récit qu’elle fait de ses expériences de vie au sein des milieux médicaux, scolaires, universitaires, militants, etc. Et on ne peut que se demander, avec elle, pourquoi, encore aujourd’hui, les personnes qui vivent avec un handicap sont à ce point mises en marge, exclues, invisibilisées. Peu à peu, en cheminant avec elle, nous comprenons que le corps est le lieu des oppressions. De fait, nous assistons à une hiérarchisation qui conduit à une dévalorisation des corps jugés inferieurs, car ne correspondant pas aux normes instituées de beauté, mais aussi d’indépendance, de performance.

Au fil de ses réflexions aussi profondes que bien écrites, Charlotte Puiseux nous invite à penser le handicap hors du seul modèle médical, qui met bien trop souvent l’accent sur la déficience de l’individu, son corps dysfonctionnant, le destin individuel, et qui, ce faisant, oblitère la transformation nécessaire de la société et de l’environnement. En effet, en pensant trop les personnes vivant avec un handicap comme « « objets de soins », et non pas « sujets de droits » » , nous ne permettons pas un changement de paradigme sociétal, une responsabilité individuelle et collective, une considération à hauteur humaine. Pour Puiseux, il devient alors capital de repenser le handicap hors du seul domaine médical pour le penser en termes d’enjeux sociopolitiques.
Alors, nous nous demandons avec elle : et si, finalement, les catégories handicap/validité n’étaient pas, comme on veut nous le faire croire, deux catégories opposées et étanches, mais bien deux pôles d’un continuum où le mélange et la rencontre entre handicap et validité est possible, où la rencontre entre humilité et vulnérabilité nous permet de repenser un projet commun d’humanité ?
A 30 ans, Charlotte Puiseux devient maman, et affronte les incompréhensions sociales, médicales autour de la maternité des personnes vivant avec un handicap, ce qui réactualise son besoin de penser les corps handicapés vécus en les replaçant au cœur du politique. Elle écrit ainsi :
« Aujourd’hui, je veux écrire sur ce que j’ai vécu, mais en rattachant mon expérience à une histoire collective. Je veux écrire sur le handicap, mais en rejetant les éternels poncifs qui saturent les discussions autour de ce sujet. Je ne veux absolument pas me présenter comme l’héroïne d’une histoire de résilience et de dépassement de soi issue d’un imaginaire validiste. Et je ne veux pas contribuer aux discours ambiants qui font du handicap une tragédie personnelle. ».
Ce livre, De chair et de fer. Vivre et lutter dans une société validiste, est donc à mettre entre toutes les mains, dans tous les esprits, afin de lutter contre nos représentations sociales du handicap emprisonnées dans des stéréotypes encore trop partagés et bien ancrés dans les différentes strates de la société. Dans ce domaine, il nous faut maintenant faire moins de morale, plus de politique.

Recension : Amandine Andruchiw

De chair et de fer
Lecture ROMAN

Les enfants sont rois

Delphine De Vigan - Ed. Gallimard Folio, 2021, 363 pages

Thème : Comment les enfants sont-ils rois dans la société actuelle ?

Dans cette fiction policière Delphine de Vigan explore, à partir de l’histoire singulière de la famille Diore, son thème de prédilection, celui de l’enfance. Sammy et Kimmy, leur mère Mélanie et leur père Bruno sont ici les personnages principaux d’une nouvelle forme de comédie humaine qui se joue sur les réseaux sociaux et autres plateformes communautaires.

Dans la famille Diore Sammy et Kimmy sont rois, pas des « enfants-rois », tyrans, imposant leurs volontés à leurs parents. Non, ce sont des rois fantoches posés sur un trône, manipulés par leur précepteur, leur régent, comme d’autres rois avant eux. Obéissantes marionnettes humaines tenues par des fils si tendus qu’ils ne laissent aucune échappatoire. Les désirs des deux enfants sont programmés, leurs journées orchestrées, leurs rires et leurs joies mis en scène, sous l’œil de la caméra. Cette caméra, ce troisième œil qui n’est pas le témoin de leur vie comme une offrande à la mémoire, mais le média de leur vie sous script, dévoilée dans l’obscurité et l’anonymat des réseaux sociaux. Et quel script ! Celui d’un bonheur idéal fantasmé, porté par leur mère, dévoilé sur le devant de la scène, exhibé sur les réseaux sociaux jusqu’à devenir la source de revenus énormes pour la famille. Les parents souhaitent, en général, le bonheur de leurs enfants, Mélanie elle veut aussi montrer le bonheur supposé de ses enfants comme preuve éclatante de son amour pour eux. « Etre » ne suffit pas à Mélanie, elle veut, dans cette mascarade, être adoubée dans son rôle de mère. C’est sa propre image qu’elle contemple au travers les images de ses enfants flottant sur les réseaux. Sammy et Kimmy sont des objets contentant les besoins narcissiques de leur mère, de sa manière d’être au monde, de sa recherche intrinsèque du bonheur.
La trame policière du roman déplie en fond l’hubris dans lequel se fourvoie la mère puis avec elle le père, tirant satisfaction psychique et profits pécuniaires de cette comédie.
Les deux enfants du roman, fascinés et rétifs, violentés dans leur intimité et leur individualité, isolés et projetés au public nous invitent à regarder comment nous utilisons les réseaux sociaux et autres plateformes communautaires, pour être au monde et nous exposer. Comment même nous exposons et volons parfois innocemment le sourire et l’intimité des enfants pour communiquer, comment aussi nous confortons peut-être l’exposition et l’utilisation des enfants à des fins marchandes juste en scrollant paisiblement dans un canapé.
Sammy et Kimmy ne sont pas des héros de chiffon, ils sont, comme d’autres, les témoins troublés d’un désir immanent de reconnaissance et de mythification d’un pseudo récit familial ou personnel standardisé.

Recension : Laure Pesch

Lesenfants sont rois

Agenda

Des annonces sur les formations et évènements scientifiques ou culturels à venir

Laure Pesch, coordinatrice du site d'appui alsacien

Réseaux sociaux

EREGE sur LinkedIn

Les sites d'appui Alsacien, Champardennais et Lorrain de l'EREGE ont désormais chacun leur page LinkedIn sur laquelle vous pourrez suivre les actualités et évènements en lien avec l'éthique en santé sur leur territoire respectif. N’hésitez pas à aller y faire un tour. Bienvenue !

Journée régionale Ethique du numérique en santé

Intelligence artificielle, e-santé et éthique : quels enjeux ?

Le jeudi 5 décembre 2024 au centre des congrès de Metz

Organisé par l’ARS en partenariat avec Pulsy, France Assos Santé et l’EREGE cette journée qui s’adresse aux professionnels aura cette année pour thème : Intelligence artificielle, e-santé et éthique : quels enjeux ?
Programme définitif à suivre sur le site de https://www.erege.fr/.