Auto-conservation des ovocytes
Christophe De Champs,
Président du conseil d’orientation du Site d’appui champardennais de l’EREGE
Dr Béatrice Delepine, biologiste en médecine de la reproduction
Responsable du CECOS Champagne-Ardenne, CHU de Reims, GHT de Champagne.
Les prélèvements d’ovocytes sont pratiqués depuis plusieurs années dans le traitement des infertilités d’origine organique, fonctionnelle ou mixte. Initialement, la fécondation in vitro se faisait sans congélation préalable des ovocytes.
Au début des années 2000, les techniques de cryopréservation des ovocytes se sont améliorées. La congélation lente n’était pas adaptée, l’apparition de la congélation rapide ou vitrification a révolutionné cette activité. La réalisation des fécondations in vitro après décongélation devenait alors envisageable. En 2009, on estimait que le taux de grossesses était de l’ordre de 20% par « cycle » de décongélation. Cette technique permettait ainsi d’assouplir l’organisation de l’assistance médicale à la procréation. Elle ouvrait la possibilité de faire des banques d’ovocytes à visée médicale permettant la préservation de la fertilité pour les patientes devant subir des traitements anti-cancéreux et pour les patientes donneuses d’ovocytes.
Les taux de grossesses obtenus après l’autoconservation pour raison non « médicale », varient de 40% à 80% selon les sites internet consultés. Il convient de rester prudent compte-tenu du caractère commercial de certains d’entre eux.
Elle se présente maintenant comme une solution aux infertilités « sociales », la première étant la stérilité physiologique survenant chez toutes les femmes. La fertilité diminue graduellement après 32 ans et le déclin s'accélère à partir de 35 ans.
En France, pour la préservation non médicale, elle se fait par ponction folliculaire après stimulation ovarienne pour recueillir des ovocytes matures. Ceux-ci sont ensuite congelés/vitrifiés au CECOS.
Les lois concernant cette question varient selon les pays. L’Atlas Européen des politiques de traitement de l’infertilité montre qu’en 2021, 3 pays sur 43 n’avaient pas de loi spécifique concernant les pratiques de ces traitements. Tous les pays acceptaient la fécondation in vitro pour les couples hétérosexuels avec leurs propres gamètes. Auparavant une enquête a été conduite par la Société Européenne de Reproduction Humaine et d’Embryologie le 31 décembre 2018 sur l’assistance médicale à la procréation comparant les législations et les pratiques dans les différents pays d’Europe. Elle montrait que l’auto-conservation, pour raison non médicale, était autorisée dans 32 des 41 pays européens sur lesquels avait porté l’enquête. Cependant, c’est dans sa mise en application et l’utilisation des ovocytes, que des différences plus importantes apparaissent selon les pays.
Plusieurs questions pouvant se poser dans le cadre de l’auto-conservation ne diffèrent pas de celles de la conservation de gamètes relevant d’autres situations : âge limite de prélèvement et de réimplantation ; utilisation posthume des ovocytes conservés ; situation matrimoniale de la mère ; anonymat du don ; nombre d’ovocytes à congeler…
Depuis, des questions plus spécifiques ont été soulevées touchant le motif et la prise en charge de l’auto-conservation : retard à un projet de maternité pour des raisons professionnelles voire même sous pression de l’employeur, raisons plus intimes concernant le projet de vie matrimoniale, gratuité de la conservation .
Nous abordons ci-dessous quelques questions plus spécifiques à l’auto-conservation :
1) le motif de la conservation
Certains auteurs proposent d’individualiser au sein de la conservation pour motif non médical, celle qui est faite en prévision de la baisse de la fertilité liée à l’âge et de la désigner « fertility preservation » ou « AGE banking ».
2) la gratuité de la conservation
En France avant la loi de Bioéthique de 2021 la gratuité de la conservation en échange de don avait été proposée pour les donneuses potentielles n’ayant pas procréé. Toute donneuse sans enfant avait la possibilité d’autoconserver une partie de ses ovocytes (avec une règle précise de nombre d’ovocytes matures au sein de la cohorte ovocytaire) lors du don d’ovocytes. Certaines souhaitaient tout donner. Cependant le maintien de la gratuité du don ne permet pas d’accepter le principe d’une gratuité de l’autoconservation soumise à une condition de ce type.
L'activité est en principe réservée aux établissements de santé publics et privés à but non lucratif. Les actes liés au recueil ou au prélèvement des gamètes sont remboursés (coût 2 000 à 3 000€), mais pas le coût de la conservation qui reste modéré (40,5€ annuels).
En Espagne et en Belgique, le coût est similaire. Il faut ajouter 1500 euros pour la décongélation et la fécondation in vitro. Si on considère globalement l’autoconservation, la fécondation in vitro et l’implantation de l’embryon, le prix varie de 4500 à 9000 euros en Europe et peut atteindre 60 000 euros aux Etats-Unis. L’université de Monash en Australie évalue le coût du prélèvement d’ovocytes à 7 000 à 8 000 Australian dollars (A$). Une femme australienne de 35 ans devra payer entre 14 000 à 15 000 A$, et une femme de 38 ans entre 21 000 et 24 000 A$ pour avoir 80% de chance d’avoir un enfant (5 075 A$ par cycle de congélation ; par intervention pour prélèvement d’ovocytes). La conservation proprement dite coûte 250 A$ par semestre.
3) le financement de la conservation
Compte tenu de ces coûts, la perception de la prise en charge de ces frais par l’employeur peut varier selon les pays. Elle est considérée comme une chance par 42% des femmes australiennes (11, 12) alors que les femmes françaises conçoivent plus difficilement que l’employeur intervienne dans leur vie privée. Elles n’en parlent pas à leur employeur, et l’intervention est remboursée à 100% par la caisse d’Assurance Maladie.
A cela s’ajoute la question de la pression psychologique éventuelle de l’employeur comme cela a été soulevé par les propositions de certaines entreprises comme Facebook et Apple, aux États-Unis.
En France, pour éviter toute pression sur les femmes salariées, dans le but de les décider à différer un projet de maternité, la prise en charge des frais d'autoconservation de gamètes par l’employeur est interdite.
4) l’âge
Une réglementation sur l’âge a été mise en place dans certains pays seulement, < 45 ans en Belgique, < 46 ans Danemark, 20-49 ans en Allemagne, > 18 ans en Espagne. En France, depuis la loi de Bioéthique de 2021 le prélèvement d’ovocytes est autorisé jusqu’à l’âge de 43 ans pour une assistance médicale à la procréation. Lorsqu’il a pour but l’autoconservation en vue de la réalisation ultérieure d'une assistance médicale à la procréation, il ne peut être réalisé qu’entre 29 et 37 ans. Comme pour les autres situations de PMA, l’utilisation des ovocytes à des fins d’assistance à la procréation est autorisée jusqu’au 45ème anniversaire.
5) les effets secondaires, les risques et les chances de succès :
La nature des effets secondaires rencontrés est liée aux techniques utilisées et aux patientes elles-mêmes. Parmi eux on cite le syndrome d’hyperstimulation ovarienne. La présence d’une pathologie associée, vasculaire par exemple à type d’antécédent d’accident vasculaire cérébral ou d’accident ischémique transitoire, sera plus volontiers une contre-indication au prélèvement dans une demande pour motif sociétal que dans celle d’une préservation de la fertilité avant chimiothérapie gonadotoxique. Dans les demandes pour motif sociétal, dans la mesure où il ne s’agit pas du traitement d’une infertilité et où la femme n’a pas d’antécédent médical les chances de succès sont meilleures que dans d’autres situations médicales. Cependant elles diminuent quand l’âge de la mère augmente et les complications sont plus fréquentes dans les grossesses après 40 ans que lorsque la femme est plus jeune.
Jusqu’à maintenant la procréation médicalement assistée a eu pour objectif d’apporter une solution aux situations d’infertilité. Dans ce cadre, elle s’inscrit donc dans une démarche curative, même si le risque zéro n’existe pas, et qu’il y a aussi des prises de risques. Une des questions éthiques que pose l’autoconservation des ovocytes est celle des effets délétères qui pourraient résulter d’une démarche encourageant la mise en route de grossesses à un âge plus avancé. Pour reprendre un repère utilisé en soins palliatifs « L ’effet positif doit avoir une probabilité de survenue raisonnable par rapport à la survenue de l’effet négatif et il ne doit pas y avoir d’autres moyens d’y parvenir que l’acte en cause ». Certaines patientes idéalisent la préservation sociétale et les professionnels de santé spécialisés sont là pour évaluer le réalisme, la faisabilité et le bénéfice attendu de ces projets, dans l’intérêt des patientes.