Avril 2022 - N°3

édito

N’inversons pas les rôles !

Pr Gérard Audibert

La pandémie COVID a été contrôlée grâce à la vaccination. La rapidité de développement des vaccins et, pour certains, leur nouveauté technologique (vaccin à ARN messager) ont provoqué une certaine méfiance de la population, ce qui, dans un premier temps, a grossi les rangs des vaccino-sceptiques.

Mais, au fur et à mesure des vagues successives, entre la persistance de contraintes grandissantes dans notre vie quotidienne, et le discours répétitif des médecins et politiques dans les médias, la population a fini par être convaincue. Une dernière partie des sceptiques a attendu l’obligation vaccinale pour céder. In fine, 94% des Français de plus de 12 ans ont reçu une dose de vaccins, une proportion extraordinaire par rapport aux sondages de début d’épidémie. Pour autant, il persiste plus de 3 millions de personnes non vaccinées.

Le groupe des non-vaccinés paie le plus lourd tribut à la maladie COVID, notamment dans ses formes graves, et de nombreux patients non vaccinés ont été pris en charge dans les réanimations des hôpitaux, particulièrement au cours du deuxième semestre 2021 et début 2022. C’est à cette période que le gouvernement a adopté une tactique de stigmatisation des non vaccinés, matérialisée par des prises de position agressive au plus haut niveau de l’Etat. C’est aussi à cette période que, fatigués par 2 années de pandémie, désespérés de ne pas pouvoir prendre en charge des patients non COVID qui nécessitaient d’avoir accès aux soins par le biais d’une hospitalisation, des soignants ont proposé de considérer les patients non vaccinés, atteints par la COVID, comme non prioritaires dans l’accès aux soins ou bien de leur faire payer les frais d’hospitalisation. Que penser de cette attitude ?

Deux années de crise sanitaire ont épuisé les énergies. La surcharge de travail, les déplacements d’un service à l’autre au gré des nécessités imposées par le virus, le changement dans les pathologies prises en charge ont abouti à une perte de repères, un désenchantement professionnel, favorisant arrêts de travail, départs de l’hôpital et parfois réorientations professionnelles. Bien sûr, dans ce contexte difficile, des réactions de rejet sont bien compréhensibles. D’un côté, les non vaccinés sont pointés du doigt comme responsables de la situation, quand certains d’entre eux défilent dans les rues au nom de leur liberté. De l’autre, et bien loin des applaudissements aux balcons de mars 2020, on jette maintenant des projectiles sur les façades des hôpitaux. Pourtant bien des non vaccinés ne sont pas des activistes. Une partie d’entre eux sont juste des exclus sociaux, des gens dont la santé n’est pas la préoccupation première parce que manger et avoir un toit sont la priorité, leur priorité. Refuser de les soigner, c’est refuser de soigner les plus démunis, ce qui est opposé à notre éthique de soignant.

On entend dire à propos des non vaccinés, infectés par le virus SARS CoV2 : « ils l’ont cherché, c’est de leur faute ». Et alors ? Est-ce une raison pour leur refuser l’accès aux soins ? Ce serait une porte ouverte à d’autres refus. Allons-nous arrêter de soigner la cirrhose de l’éthylique ? Allons-nous refuser de prendre en charge le cancer du poumon du fumeur ? Désormais le défenestré volontaire va rester sur le trottoir ? Et ce chauffard en état d’ivresse, pas de soins non plus ? Si nous étions moins fatigués et plus lucides, nous verrions que la situation des non vaccinés est tout à fait banale dans un hôpital. Chaque jour, une partie des patients hospitalisés adopte des conduites à risque et a fait des choix de vie qui ont contribué au développement de leur maladie. Ils sont pourtant pris en charge comme les autres et heureusement. Notre éthique de soignant nous commande de soigner sans discrimination. Ce n’est pas toujours facile mais cela fait partie de l’essence de notre métier. Les non vaccinés ne sont en aucune façon une exception, le virus de la COVID ne doit pas désorienter notre boussole éthique.

Le gouvernement, après avoir essayé de convaincre, a décidé de stigmatiser les non vaccinés et de justifier le passe vaccinal au prétexte « d’ennuyer » les non vaccinés. Ce choix politique a pour objectif d’essayer de réduire encore la proportion de non vaccinés alors qu’en France elle est une des plus élevée d’Europe. Cette option ne doit pas déteindre sur le comportement professionnel des soignants. Il est hors de question de catégoriser nos patients, selon leurs comportements et leurs choix de vie, pour dispenser nos soins. Aux politiciens de mener une politique de santé, aux soignants de dispenser les soins. Ne nous méprenons pas, n’inversons pas les rôles !

Témoignages

Récits autour d’un thème lié au questionnement éthique

Amandine Andruchiw, coordinatrice du site d’appui champardennais

Accueil

Accueil ou hospitalité dans les établissements médico-sociaux

Michèle Latu,
Directrice du Foyer la Baraudelle, établissement recevant des adultes handicapés physiques en structure rurale

Quel que soit l’établissement médico-social (accueil d’enfant, accueil de mère isolée, CHRS, personnes âgées, ...), l’accueil bienveillant est une constante de qualité de service. Quel que soit le visiteur, l’accueil dès l’ouverture de la porte de l’institution rend compte des valeurs sociales mises en œuvre. Ces deux dernières années ont cependant mis un terme à des habitudes ancrées :

  • Le salon d’accueil a disparu au profit d’une table relevant l’identité du visiteur, d’horaires de présence ainsi que d’un contrôle des passes sanitaires.
  • Le port de masques de protection est obligatoire, ce qui embue les lunettes des visiteurs venant de l’extérieur, modifie la tonalité et le timbre de voix et limite la parole et les échanges.
  • L’accès limité ou interdit lors du premier confinement, ou pendant les périodes de cluster, ont modifié les formes de contact. Les relations humaines directes ont été malmenées et de nouveaux espaces de communication ont été créés par Messenger, Whatsapp, Zoom, Skype…

En définitive, après ces deux années difficiles pour les relations humaines, les contacts par le biais d’outils informatiques ont techniquement pu se maintenir, mais n’avons-nous pas renoncé à la richesse des échanges, des contacts humains, des modulations de voix, des sourires et de l’hospitalité ?

L’accueil s’est réorganisé et les outils informatiques actuels rendent un grand service pour maintenir une proximité entre résidents et familles. Cependant cet accueil est désincarné, sans contact, sans saveur. Alors de quoi devons-nous parler ? Devons-nous parler d’accueil ou d’hospitalité ? Que recouvre l’hospitalité que ne génère pas l’accueil ? Quels sont aussi les points communs de ces notions si importantes dans notre pratique ?

Si l’accueil est l’action et la manière d'accueillir, de recevoir quelqu'un ou quelque chose, l’hospitalité a plusieurs définitions car elle désigne non seulement l’acte de recevoir et d'héberger quelqu'un chez soi par charité ou générosité, mais encore la bienveillance, la cordialité dans la manière d'accueillir et de traiter ses hôtes. C’est aussi recevoir l’étranger, la personne venant de lointaines contrées.

Le concept d’hospitalité s’avère plus complexe, portant une charge humaine et émotionnelle importante qui existait dès l’Antiquité. Peut-on en déduire que l’hospitalité ne peut être que positive, contrairement à l'accueil, qui peut être selon les cas aimable, bienveillant, cordial, gracieux, ou au contraire froid, glaçant, glacial ?

L’hospitalité n’a pas besoin de raison, de justification, elle s’accorde sans réserve ni calcul. Elle ne peut être prescrite, encadrée ou restreinte par des règles ou des critères. De ce point de vue, toute institutionnalisation, toute codification trop formelle risque de la limiter ou de la dévoyer. Alors que l’accueil serait plutôt une démarche qui vise à créer un climat propice à la naissance d’une relation humaine de qualité. C’est une manière de penser qui doit constituer une manière d’agir. L’accueil, c’est un ensemble de comportements, d’attitudes, de regards, de gestes, de mots, de réponses aux attentes.

L'hospitalité est l’œuvre de l’organisation dans son ensemble, d’une éthique et de valeurs institutionnelles et/ou associatives. Il est donc important d’instaurer une culture d’institution axée sur l’hospitalité, qui fait de la satisfaction, de l’écoute et de la bienveillance la mission de tous les professionnels. L’accueil relève généralement des responsabilités d’un professionnel et revêt un aspect technique dominant. L’accueil éthique d’un professionnel, c’est lorsqu’il déploie une attitude à travers laquelle le parent, l’ami, peut se sentir désiré, bienvenu.

Au sein de la structure que je dirige, nous avons été soucieux de construire une démarche d’accueil très adaptée pour les familles des résidents, pendant toute cette période de pandémie. Recevoir et/ou conserver des liens avec sa famille, c’est important même lorsque des règles d’éloignement sont en cours.

Au gré des autorisations égrenées tout au long de l’année, nous avons prévu les rendez-vous des familles avec un accompagnement de la porte jusqu’à l’espace d’accueil. En semaine, cet accueil était effectué par la psychologue ou la secrétaire de direction. C’est un temps pendant lequel la famille a pu partager ses inquiétudes, demander des nouvelles de la vie de l’établissement, parler de ses craintes et de ses peurs. L’accueil s’est accompagné de l’installation d’une table avec café des deux côtés de la cloison en plastique. Ce n’était plus un espace séparé mais un café, une terrasse adaptée aux circonstances. Nous avons organisé, dès que cela était possible, des lieux d’accueil en extérieur et organisé des repas champêtres pour que les familles puissent se retrouver.

Certains résidents n’ont pas souhaité rentrer en famille de peur d’être contaminants ou d’être contaminés. Nous avons mis en place des repas familiaux dans une salle d’activité avec une cloison transparente entre la famille et le résident. C’est devenu un temps d’échange familial comme à la maison, le contact en moins.

Aujourd’hui, les familles sont à nouveau accueillies sous couvert d’un test PCR négatif de moins de 24 heures ou d’un passe vaccinal. Ces règles obligatoires génèrent un contrôle à chaque visite. Cette obligation repose et pèse sur les épaules de l’institution et de ses salariés. Si beaucoup de familles se plient à cette contrainte, pour d’autres, ce contrôle est vécu comme une perte de liberté et d’humanité. Des conflits s’instaurent, les frustrations deviennent trop pesantes et nous n’avons plus les ressources pour développer cette hospitalité qui se vit sans contrainte.

L’hospitalité doit de nouveau reprendre une place entière et souveraine dans les habitudes de vie de l’institution. C’est avec conviction que les professionnels du secteur médico-social ont porté ces valeurs humaines dans un contexte effrayant et déstabilisant. Tous ont hâte, maintenant, de voir revenir une hospitalité retrouvée.

Bibliographie

Perret Anne, Blanchet Corinne, Cosseron Florent et al., « L'éthique de l'accueil », Adolescence, 2012/2 (T. 30 n°2), p. 307-314. DOI : 10.3917/ado.080.0307

Garrigue Abgrall Marie, « L’accueil ne peut être qu’éthique », dans : , Pour une éthique de l’accueil des bébés et de leurs parents. sous la direction de Garrigue Abgrall Marie. Toulouse, Érès, « Enfance & parentalité », 2015, p. 259-289

Verspieren Patrick, « L'hospitalité au cœur de l'éthique du soin », Laennec, 2006/4 (Tome 54), p. 33-49. DOI : 10.3917/lae.064.0033

Recherche

Coups d’œil sur la recherche en éthique

Pr Christophe De Champs, Président du conseil d’orientation du site d’appui champardennais

Introduction à l’utilitarisme

Pr Christophe De Champs,
Président du Conseil d'orientation du site d'appui champardennais de l'EREGE

La crise Covid 19 a vu naître de nombreuses polémiques que ce soit autour de la prise en charge des patients dans les hôpitaux, des mesures barrières, des mesures de confinement ou des vaccins. Certains ont évoqué l’adoption d’une politique utilitariste, souvent pour la critiquer, posant la question de l’acceptabilité d’une telle politique et de son caractère éthique. Qu’est-ce qu’une éthique utilitariste, est-elle acceptable ?

Francis Hutcheson (1694-1746) philosophe irlando-écossais, considérait que « l’action la meilleure est celle qui procure le plus grand bonheur au plus grand nombre ». Cette idée a été reprise par Jeremy Bentham (1748-1832), donnant naissance au début du 19e siècle en Angleterre, à la philosophie utilitariste. Pour lui une philosophie morale ne devait juger du caractère utile ou nuisible d’une action qu’en fonction de ses conséquences (indépendamment de l’intention ou de la motivation, par exemple). Les bonnes conséquences procurent du plaisir et les mauvaises conséquences de la douleur. Cette philosophie fut appelée utilitarisme parce qu’elle entendait juger les actions sur leur utilité en fonction des conséquences qu’elles produisaient. Érigée en éthique, elle tend à s’opposer aux théories visant à faire prévaloir les droits de l’individu, des théories par conséquent réticentes à sacrifier l’individu au bien-être de la majorité.

L’article de Olivier Bellefleur et Michael Keeling (2016) montre que plusieurs philosophes ont développé cette notion et ont apporté différentes nuances. L’utilitarisme est une théorie éthique normative (ou théorie morale). Elle repose sur deux composantes, la théorie du bien et la théorie du juste. La théorie du bien définit le bien, ce qui a une valeur morale. La théorie du juste, appelée aussi théorie du droit ou de l’obligation, détermine ce que les agents individuels et institutionnels devraient moralement faire à propos du bien (Pettit 1993). Ainsi, la définition de l’utilitarisme a évolué ne limitant pas l’utilité aux plaisirs et aux douleurs, mais l’étendant à des conceptions de l’utilité axées sur une planification rationnelle, en fonction d’intérêts généraux ou du bien-être à long terme. Il en résulte deux types d’utilitarisme, l’utilitarisme de l’acte et utilitarisme de la règle. Dans le premier cas, l’action ou la politique produisant le plus d’utilité nette est alors celle qui est moralement obligatoire. Dans le deuxième, elle est considérée moralement obligatoire ou juste, non pas lorsqu’elle maximise l’utilité dans un contexte précis, mais lorsqu’elle se conforme à des règles, qui en général, permettent de maximiser l’utilité. En santé publique, l’appréciation des avantages et des inconvénients de l’utilitarisme dépend de la perspective dans laquelle on se place pour examiner une situation donnée.

Les acteurs de la santé publique utilisent une approche située entre l’adoption et le rejet de cette théorie. Le principe d’utilité est conservé sous une forme ou une autre et souvent renommé « principe de proportionnalité des risques, des coûts, des fardeaux et des bénéfices ». Les auteurs concluent que « l’approche qui semble prévaloir en santé publique est de conserver le principe d’utilité, tout en rejetant la prétention utilitariste à pouvoir couvrir l’entièreté du champ de l’éthique en santé publique à l’aide de ce seul principe ».

Ceci revient-il à rejeter l’utilitarisme ? Pour J.P. Cléro, « la plupart des principes pratiques (…), conduisent à des contradictions, si on les applique au-delà d’un certain point. Passé ce point, ce qui était bénéfique se renverse en son contraire ». Or dans les situations éthiques qu’il rencontre, le médecin doit tenir compte de multiples principes. Pour ses défenseurs, l’utilitarisme est un système qui permet de résoudre les contradictions apportées par l’application des principes.

événements

Retour sur les manifestations réalisées ou soutenues par L'EREGE

Laure Pesch, coordinatrice du site d’appui alsacien

Rencontres

Le traitement journalistique de la crise Covid

Dans le cadre d’une série de rencontres/débats sur la notion du doute, le site d’appui alsacien de l’EREGE a proposé jeudi 30 janvier en partenariat avec la BNU de Strasbourg, une soirée sur le traitement journalistique de la crise Covid.

Le traitement et la diffusion de l'information en santé est un enjeu de taille pour la connaissance et la démocratie.

La crise sanitaire a montré et continue de montrer la difficulté pour chacun de comprendre, d’assentir, de faire face aux informations parfois contradictoires, et ce d'autant que des sources multiples alimentent sans cesse, en temps réel et en boucle les citoyens.

Il a semblé intéressant au site alsacien de l'EREGE de comprendre comment travaillent ceux qui organisent cette information, comment les médias "traditionnels" se positionnent face aux nouveaux canaux de circulation de l'information. Important aussi de connaître leurs questionnements.

En effet, depuis le début de la crise, les informations contradictoires, les spécialistes divergents et les nouvelles catastrophistes se succèdent sans qu’une parole « sûre et définitive » ne vienne chasser les doutes : Comment comprendre ce qui se passe ? Qui interpeler ? Quelle source serait fiable ? La parole officielle ? Quels sont les spécialistes accessibles ? Si leur rôle de critique demeure, les journalistes ont en même temps le « devoir » de jouer collectif. Comment, dans un tel contexte, remplir la mission d’information ?

À partir de leur vécu de la crise, des professionnels racontent leurs interrogations et les évolutions de leur profession, face à la complexité de la crise, l’absence de certitude, la remise en cause du savoir, la difficulté à rendre compte d’une réalité qui évolue quotidiennement, faire face à la rumeur (réseaux sociaux). La crise est une leçon d’humilité pour tous qui a sonné le rappel à la déontologie. Elle a aussi agrandi la brèche entre l’information issues des médias traditionnels (presse, radio) notamment de proximité et la bulle des informations issues des réseaux sociaux jusqu’à créer dans la population deux camps distincts.

Ce débat a été enregistré le jeudi 22 janvier 2022 à l’auditorium de la BNU à Strasbourg, avec :

  • Barbara SCHUSTER, DNA Desk Région
  • Yannick OLLAND RTL Radio, reporter RTL
  • Christophe DELEU, directeur du Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme
  • Philippe CHAVOT, Laboratoire Interuniversitaire des Sciences de l'Education et de la Communication.

presse

Les articles scientifiques ou grand public qui posent des questions éthiques

Pr Gérard Audibert, Directeur de l'EREGE & Pr Michel Hasselmann, Directeur du site d’appui alsacien

Des bactéries dans le béton…

Pr Michel Hasselmann,
Directeur du site d’appui alsacien de l’EREGE

Où doit donc se placer la réflexion éthique ? Aujourd’hui partout, tant ses champs d’application sont consubstantiels aux activités humaines. Les domaines « classiques » qu’elle aborde portent principalement sur des questions sociales – inégalités, précarité, difficultés d’accès aux savoirs, discriminations liées au genre, fin de vie – et sur des questions médico-techniques et scientifiques dont s’empare l’une de ses subdivisions, la bioéthique.

Un domaine d’importance qui lui est ouvert concerne l’habitat humain. Que ce soit à propos du mal-logement qui touche en France plus de quatre millions de personnes, mais aussi des impacts écologiques de la mise en œuvre et de l’exploitation du bâtit. On sait en effet que les bâtiments, pour leur construction et leur usage, ont des répercussions environnementales mondiales considérables. Selon l’ONU, leur demande énergétique ne fait que croître pour le chauffage et le refroidissement par climatiseurs (plus de 1,6 milliard installés dans le monde), et leur construction et leur exploitation sont à l’origine d’une production record de CO2. En 2019, l’industrie de la construction a émis dix milliards de tonnes de CO2 et se trouve être le plus gros consommateur de sable pour la fabrication de béton avec un épuisement des ressources mondiales.

Mais les questions éthiques liées à l’habitat humain ne s’arrêtent pas là. Des innovations proposent d’intégrer des éléments biologiques vivants dans les matériaux de construction pour en améliorer les qualités techniques et la durabilité. En 2018, des auteurs proposaient un système biologique synthétique basé sur l'utilisation de bactéries génétiquement modifiées, semées et cultivées dans les sols pour que les fondations d’un bâtiment s’auto-construisent et s’adaptent aux pressions exercées. Plus récemment, des chercheurs de l’Université de Newcastle ont réussi à créer une nouvelle génération de revêtements de bâtiments qui modèrent la température et l’humidité internes, en faisant varier leur porosité. Cette nouvelle texture à faible impact environnemental est composée de multiples monocouches de spores microbiennes de Bacillus subtilis et de feuilles de latex. Les spores génèrent des micropertuis dans le revêtement qui peuvent s’ouvrir ou se fermer en fonction de l’humidité ambiante, et ainsi permettre ou non le passage d’air, ce qui améliore sa qualité à l’intérieur du bâtiment. D’autres matériaux, à base de sable et de gélatine, intègrent des cyanobactéries dans une sorte de « béton vivant » capable de créer des briques de façon continue qui peuvent s’auto-régénérer en cas de rupture. Un chercheur de l’Université technologique de Delft propose quant à lui un additif contenant des bactéries dormantes et des nutriments qu’il faut mélanger aux ingrédients du béton lors de sa mise en œuvre. Une fois le bâtiment terminé, quand des microfissures se forment dans le béton, les bactéries se trouvent en contact avec l’humidité ambiante et se réactivent. Se nourrissant des nutriments spécifiques contenus dans l’additif, elles fabriquent du carbonate de calcium qui comble les fissures.

Toutes ces innovations sont séduisantes et les concepteurs avancent en général l’idée qu’elles contribuent à limiter les besoins énergétiques et la consommation de matériaux de construction tout en réduisant la production de CO2. Mais une question se pose quand on sait que tous ces agents biologiques ont été modifiés et que leur impact sur l’environnement et sur la santé humaine n’a pas été étudié. À l’heure où les citoyens sont appelés à réfléchir sur l’édition du génome, il serait judicieux que ce champ d’application des biotechnologies fasse également partie de la réflexion.

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Des liens vers des émissions TV, radios, podcast, webinaires, conférences... intéressants du point de vue éthique

Hélène Gebel, coordinatrice régionale de l'EREGE

Replay

Festival de théories du complot pendant la pandémie de coronavirus en 2020-2021 : un regard de la psychologie

Conférence du 17 novembre 2021, par Pascal Wagner-Egger, IRCAD et Maison pour la Science en Alsace et le Rectorat de l'Académie de Strasbourg

Avez-vous déjà entendu parler d’infodémie ? C’est le néologisme créé par l’OMS en 2020 pour qualifier toutes les informations hasardeuses et toujours fallacieuses qui sont diffusées depuis l’apparition de la COVID-19. Si les théories du complot semblent n’avoir jamais été aussi nombreuses, on peut s’interroger sur les raisons de leur profusion.

Pascal Wagner-Egger, qui est enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg (Suisse), et l’auteur de Psychologie des croyances aux théories du complot : Le bruit de la conspiration, aux Presses Universitaires de Grenoble (2021), nous apporte son éclairage sur la question.

Unistra.fr, Séminaire COVID-conférence Wagner, 59 min, 17/11/2021

culture

Tour d’horizon d’œuvres qui nous permettent d’aborder des questionnements éthiques de manière singulière

Hélène Gebel, Coordinatrice régionale de l’EREGE

Cinéma

Drunk, film danois co-écrit et réalisé par Thomas Vinterberg, sorti en 2020

Alcoolisme éthique

Boire est légal, seule l’ivresse sur la voie publique est interdite. Pourtant les professionnels de la morale et en particulier les religieux de tous poils vous diront que ce n’est pas bien de boire : on se donne du plaisir, en spectacle et on risque de dire ou même faire des sottises avec ce corps qui ne nous appartient pas. Surtout si on est amené à consommer sans modération. En même temps plus vous buvez, plus vous avez le courage de lâcher le petit animal bien tapis au fond de vos étagères, qui vous ronge et vous neutralise. Au point que les amateurs pourraient parfois en proposer une bonne lampée à ceux qui voudraient les convertir à l’eau ferrugineuse. Parfois même la bête a besoin de mettre le nez à la fenêtre. La question se pose donc : peut-on boire de façon vertueuse ?

A priori, tout est dans la mesure. Consommé « avec modération », l’alcool peut-être considéré comme bon au palais, joyeux, festif, convivial. Il désinhibe et parfois vous pourriez bien avoir l’utilité d’un peu de ce courage là. Par exemple, quand vous avez à faire face à une tripotée d’ados blasés pour leur enseigner le français (ou le suédois) du Moyen ge comme ils disent.

Partant de là, Thomas Vinterberg s’inspire dans son dernier film Drunk de la théorie du psychologue norvégien Finn Skårderud, selon laquelle l'homme naîtrait avec un taux d’alcool dans le sang présentant un déficit de 0,5g/ml. Pour donner des ailes à quatre profs amis un peu démunis face à la vie qui passe et à la jeunesse sauvage qu’ils sont censés éduquer, Thomas Vinterberg imagine qu’ils décident de combler ce léger déficit : 0,5 gr, pas plus mais tout le temps…

Adeptes des sciences exactes, nos amis s’offrent des éthylomètres et en route pour une petite goutte juste après le petit déjeuner - « Jamais avant ! » recommandait Churchill -, une autre en salle des profs avant d’entrer dans la cage et vous voici bien mieux à l’aise, pas trop, juste ce qui convient pour rester souriant et confiant, prêt à quelques audaces, par exemple poser des questions de fond à vos élèves : si vous deviez en porter un au pouvoir, lequel de ces trois hommes politiques choisiriez vous ?

  • Le premier, victime de paralysie à cause de la polio, souffre d’hypertension et d’un tas d’autres maladies, ment comme il respire, consulte un astrologue pour sa politique, trompe sa femme, fume et boit ;
  • Le deuxième, obèse, dépressif et cardiaque, insupportable, n’écoute personne, fume et avant de se coucher se gave de champagne, cognac, porto, whisky et somnifères ;
  • Le troisième, héros de guerre, respecte les femmes, adore les animaux, ne fume ni ne boit sauf une petite bière de temps à autres.

Et tout le monde, comme vous probablement, de choisir le troisième, écartant Franklin Roosevelt et Winston Churchill pour élire Adolf Hitler.

Parfois les apparences sont trompeuses et laisser les a priori et autres lois morales à l’entrée de la salle de réflexion pourraient constituer quelques-unes des idées de Drunk. À priori on ne peut pas picoler de façon vertueuse…quoique, en y réfléchissant…

Surtout, à partir d’une même attitude collective, Drunk montre qu’il n’y a que des cas particuliers : chacun est tenté d’augmenter la dose dans l’espoir de bénéficier davantage des bienfaits de la méthode, certains résistent, d’autres moins, l’un prend le risque de partager sa science nouvelle avec un élève stressé, l’autre perd les pédales…Pour un même remède initial il y a autant de résultats que d’individus. Intéressant rappel pour tout un chacun et en particulier pour qui prétend se mêler de santé et d’éthique. Le film montre cette difficulté de la mesure dans les excès, de la raison dans les enthousiasmes, mais aussi que ces derniers, même débordants, peuvent se révéler salutaires. Et il envisage autre chose : ceux qui finalement parviennent à cet équilibre, seraient-ils guidés par des motivations comme l’amour, la joie, le plaisir, le courage, la générosité, l’humilité ? Merveilleux moteurs dont personne ne se plaindra de ressentir les effets, exclusivement vertueux, longtemps après la fin du film.

Lu par Guy Wach, journaliste.

Drunk
Lectures

Notre maladie, leçons de liberté depuis un lit d’hôpital américain

Timothy Snyder, traduit par Olivier Salvatori, 2021, Les Belles Lettres

Timothy Snyder est historien, américain, grand spécialiste des dictatures et des meurtres de masse du XXème siècle. Le livre part de son expérience, en tant que malade au sein du système de santé américain, à l’occasion de la survenue d’une appendicite compliquée d’un abcès hépatique. Il décrit ainsi « de l’intérieur et dans sa chair » comment la commercialisation à outrance du soin a conduit les USA à dépenser le plus dans le monde pour la santé tout en ayant de mauvais (voire très mauvais) indicateurs (notamment en termes de mortalité périnatale et d’espérance de vie parmi les populations défavorisées). Il milite ainsi pour une remédicalisation du système de soins miné par la gestion médico-économique, l’optimisation financière, l’optimisation de l’occupation des lits…
Il apparaît aussi un fin observateur des défauts de la pratique médicale : il pointe le manque d’écoute, la transmission d’informations insuffisante, la disparition de la clinique au profit des examens complémentaires, le racisme mais aussi les distractions à la relation occasionnées par un usage non maîtrisé du téléphone (illustré par la description glaçante de sa deuxième ponction lombaire) et de l’ordinateur.

Le patient cède la place à l’historien lorsqu’il s’agit d’analyser la gestion de la pandémie Covid aux USA. Il y retrouve des caractères communs aux systèmes dictatoriaux qui sont son domaine d’analyse, notamment dans la gestion de l’information et l’éviction de toute personne en désaccord avec la doxa présidentielle.

Sa conclusion fait écho aux difficultés rencontrées par notre propre système de santé : la santé est un fait global et politique, un acte de solidarité et non pas un problème technocratique et économique : ce qui implique, pour lui, la défense de la couverture médicale universelle et la restauration de l’autorité des médecins (contre le lobby médico-industriel). Car « pour être libres, nous avons besoin de notre santé. Pour rester en bonne santé, nous avons besoin les uns des autres. »
Recension par Dr Patrick Karcher, PH Gériatre

Lectures

Rupture(s)

Claire Marin, Paris, Le livre de Poche, 2020

« Et si pourtant on ne se baignait jamais deux fois dans le même « moi » ? » (p. 83)

Sommes-nous un individu ? Un moi, indivisible ? Sommes-nous multiples ? Qu’est-ce qui fait rupture ? Et comment vivre avec ? Avec ce livre publié pour la première fois en 2019, la philosophe Claire Marin nous emmène dans un voyage intérieur entre secousse et pommade.

Il ne s’agit pas d’un énième livre de développement personnel, mais bel et bien d’un cheminement profond et réflexif sur ce que font de nous nos ruptures.

Elles peuvent être intimes, familiales, amoureuses, accidentelles, professionnelles, nombreuses, mais toujours singulières. Sont-elles coupures nettes avec notre moi d’avant ? Ou déchirures qui n’en finissent pas ? Nous brisent-elles à tous les coups ? Nous servent-elles de béquilles ? Nous permettent-elles de faire table rase ? Nous font-elles devenir quelqu’un d’autre ? Quoi qu’il en soit, nul doute qu’elles contribuent à la fabrication de notre humanité qui cahin-caha tente de se faire une place dans un monde où les incertitudes sont finalement la norme, comme nous l’avons redécouvert récemment. Car si ce livre a été écrit avant la pandémie de covid-19, il apparaît comme une véritable caisse de résonnance de toutes les ruptures diverses et douloureuses que nous avons vécues dans nos êtres et dans nos quotidiens ces deux dernières années, qu’elles soient de l’ordre de l’intime (la distance, les barrières, l’absence, le deuil, la perte, l’incertitude, l’incompréhension, l’interdiction de voir et de dire au revoir ou adieu, l’inquiétante étrangeté partout) ou de l’ordre du sociétal (l’irruption du télétravail, du virtuel, du constat sévère que nos institutions sont au bord de la rupture, etc.). Suis-je la même personne en janvier 2022 que celle que j’étais en janvier 2020 ? Et d’ailleurs, le pays que j’habite est-il toujours le même ? Force est de constater que la crise sanitaire est une rupture majeure dans le fil de nos vies.

Finalement, ce livre va peut-être même encore plus loin : il impulse l’idée que le moment de rupture que nous sommes en train de vivre, et tous ceux à venir face à une crise écologique et sanitaire mondiale, nous intiment de repenser urgemment nos modes de vie, nos habitudes d’être et d’avoir. Peut-être que cette rupture avec nos croyances, voire avec nos certitudes de toute-puissance est la plus difficile à panser … Car nulle garantie que le moment d’après sera plus heureux que celui d’avant. Les ruptures sont. Et nous, avec courage, nous vivons avec elles, tant bien que mal.

Recension par Amandine Andruchiw, Coordinatrice du site d’appui champardennais de l’EREGE.

Rupture(s)
Lectures

Certitudes négatives

Jean Luc Marion, Grasset, Collection Figures

Introduction en philosophie du concept de certitudes négatives. Marion part d’un constat, celui que nous sommes et restons essentiellement cartésiens quand, pour nous, connaître signifie connaître certainement, c'est-à-dire de science certaine donc exacte. Or nous ne connaissons pas autant que nous le pensons puisque le critère de certitude exclut la plupart de nos pensées hors du champ de la science. Une science exacte ne s’établit qu’en renonçant finalement à connaître ce qui ne peut décidément satisfaire aux critères de la certitude, à l’ordre des modèles et à la mesure des paramètres. Il suit que la science n’assure sa certitude qu’en réduisant la chose en soi à un objet. Marion discute cette équivalence posée entre certitude, science et objet car il remarque que nous avons accès à des connaissances sans certitude parce que sans objet, le connaissable n’ayant pas satisfait aux conditions de l’objectivation et de sa réduction (chose en soi chez Kant, écart entre l’objet compris et l’infini incompréhensible chez Descartes).
La certitude d’objet passe par des énoncés positifs et affirmatifs des sciences exactes. La certitude positive d’un énoncé scientifique sur un objet reste aussi provisoire car révisable, en un sens radicalement contingente, parce que sans objet.

Une certitude autre peut-elle pour autant se concevoir ? Jean-Luc Marion examine cette hypothèse : si une question douée de sens, correctement formulée et sans contradiction logique, reste sans réponse possible pour un esprit fini et même ne doit pas, pour des raison a priori, recevoir de réponse selon les critères d’une rationalité finie (encadrée par les principes de contradiction et de raison suffisante) alors une telle question en tant que toujours cherchée et toujours laissée sans réponse, qui survit pourtant à cette absence, ne donne-t-elle pas une réalité à penser (cogitabile) et ne mérite-t-elle pas le rang de certitude négative ? Ainsi en est-il des questions de l’homme…indéfinissable qu’aucune théorie ou expérience à venir ne viendra corriger ou invalider, offrant infiniment plus de certitudes que toute affirmation.

Qu’est-ce que l’homme se demande Jean Luc Marion : je suis et je pense. Pour Descartes penser implique de dire je en première personne et dire je implique de penser. Mais que puis-je penser, moi qui pense en pouvant dire ce MOI ? Si penser signifie penser ce qui s’objecte à moi, alors le fait que penser me revienne à moi, n’équivaut pas à ce que je me pense moi, mais au contraire l’exclut. Je ne me connais qu’en tant que connu, jamais en tant que connaissant. Je ne me connais donc jamais comme je qui connais mais toujours seulement comme un moi connu, comme un objet parmi d’autres. Ravalé au rang d’un simple moi, objet empirique de l’anthropologie constitué par le savoir qui le produit comme tout autre objet, l’homme, cette invention récente pourrait bien devoir inexorablement disparaître. Car si ce que je suis ne peut se définir comme « homme » (ni aucun équivalent plus détaillé) cela ne résulte pas que ce que je ne le connaîtrais pas, mais au contraire de ce que je le connaîtrais que trop et trop facilement, par ce que je ne le connais qu’à titre d’objet. Autrement dit, mon accès à ce je me demanderais d’admettre ne pas pouvoir, ni même devoir m’apparaître comme une connaissance (un objet pensé) mais comme une définitive question (pensante sans réponse d ‘objet). La question « Qui suis-je, ce je que je suis pourtant bien ? » n’a pas lieu d’être posée, puisque par définition, elle n’aura jamais de réponse. Je ne suis pas moi, ou plus exactement je n’est jamais qu’un moi, que je ne suis pas et qui n’est pas je, puisqu’il est un moi.

Comment alors se connaître et ce qu’il en coûte de se connaître ? La connaissance du je par une « idée claire », ou ce qui en découle par un concept, pose la question de sa légitimité. A supposer qu’il ne soit pas contradictoire de prétendre atteindre le je qui seul comprend (et produit) des concepts, par l’un de ses propres concepts, deviendrait-il pour autant licite et donc souhaitable de connaître ce je, par concept à titre d’objet ? L’être de l’objet ne consiste qu’à recevoir son être de l’homme qui l’aliène en même temps qu’il le nomme. Des caractères de la connaissance par concept, il s’ensuit donc l’impossibilité pour l’homme de nommer, c'est-à-dire de définir l’homme, sauf à le réduire au rang d’un simple concept et à ne pas y reconnaître un homme mais un objet, éventuellement animé, toujours aliéné. Définir un homme revient finalement toujours à en finir avec l’humanité en lui, donc à en finir avec lui. Classer un homme équivaut à le déclasser comme humain, parce qu’on ne saurait le classer autrement que selon un ordre et une mesure (des modèles et des paramètres) qui lui adviennent d’ailleurs- à savoir la mise en œuvre de ma rationalité. Que servirait-il à l’homme de se connaître par concept s’il devait y perdre son humanité ?

Cette aliénation qui fait déchoir l’homme compris, défini et assigné au rang d’objet peut se constater dès que nous formulons la question « Qu’est-ce que l’homme ? ». Cette simple question admet comme allant de soi que la question de l’homme porte sur un que, sur quelque quoi, et que la réponse consiste à désigner le ce que le quoi quelconque approprié. La formulation de la question, sous l’évidence du ce que interdit d’emblée qu’on y réponde par je ou par qui je suis encore moins par me voici. Elle accomplit l’éclipse du qui par le quoi. Chercher la définition de l’homme en général parait autoriser une fois cette définition tenue pour acquise (ce qui en fait ne se peut) à demander aussi « Ceci est-il encore vraiment un homme ? ». Cette prétention décidera de l’humanité de tel homme en abolissant précisément la mienneté irréductible du je en lui. L’abolition de l’homme (sa proscription) commence par son objectivation, qui consiste à croire le définir sans admettre qui que ce soit en lui. Primo Levi a parfaitement vécu et décrit le moment où le nombre, le chiffre, le numéro, devenu l’outil le plus efficace de la définition de l’homme tue le nom d’un homme en s’y substituant. L’identité qu’atteste (ou non) le papier d’identité repose sur l’aliénation essentielle de l’essence ainsi reçue : je ne suis qui je suis que par l’intermédiaire d’une autorité autre. Dans le cas du papier d’identité, l’identité de soi à soi vient d’ailleurs, exprimant une division de l’ipséïté. Cette même question autour de la définition de l’homme revient sous une autre forme dans l’actualité récente avec le droit d’asile par le sociologue Karen Akola ( Le Monde, mardi 31 août 2021) : « le statut de réfugié en dit plus sur ceux qui l’attribuent que sur ceux qu’ ils désignent »

Aux deux impossibilités à l’encontre d’une définition de l’essence de l’homme (celle de l’ob-jection du moi, l’autre de la scission de l’ipséité elle-même), s’en ajoute une troisième : l’impossibilité, plus exactement l’illégitimité, de définir les simples limites de l’humanité, car il ne s’agit pas que de l’irréductibilité du je que je pourrais être mais de celle de l’autre homme. Je ne partagerai l’humanité de l’autre homme qu’en lui accordant la même inconnaissance et la même indéfinition que celle que je me reconnais. De quel droit maintenir et revendiquer la compréhension d’une si fragile incompréhensibilité ? L’argument fourni par les théologiens Grégoire de Nysse et Basile de Césarée suivant lequel l’homme devrait s’entendre par référence à l’incompréhensibilité de Dieu, tout autant comme lui « invisible » et « caché » ne fournit en soi aucune connaissance claire et distincte pour répondre aux fondements métaphysiques de l’étant en général et de la définition de l’essence de l’homme. Ce dernier apparaît comme animal instable, donc indéfinissable, parce qu’il reste encore à décider, mais surtout qu’il reste à décider par lui-même. Ainsi l’indéfinition le constitue immédiatement, parce qu’elle résulte directement de son libre arbitre et se confond avec lui.
Une philosophie ne reste digne de considération qu’autant qu’elle maintient ouverte cette indécidabilité tenant lieu pour l’homme, de définition, cette instabilité qui tient lieu d’essence. L’éthique elle-même échappe-t-elle à cette catégorie de « certitude négative » ? Les progrès de la science et de la technique contemporaine créent des situations inédites et complexes dans le domaine biomédical et induisent une « déstabilisation » de l’éthique, l’amenant à des zones d’incertitude et d’indétermination.

Recension par Jean Pierre Graftieaux, Membre du Conseil d’orientation du site d’appui champardennais, Médecin, docteur de philosophie pratique et d’éthique hospitalière.

Certitudes négatives
Lectures

Les Fossoyeurs

Victor Castanet

Avant la publication le 26 janvier 2022 du livre-enquête de Victor Castanet « Les Fossoyeurs : révélations sur le système qui maltraite nos aînés », plusieurs écrits ont déjà dénoncé des pratiques inhumaines dans certains établissements de santé. En septembre 2021, Elise Richard a publié « Cessons de maltraiter nos vieux » (Ed. du Rocher), récit d’une enquête de trois ans en EHPAD et à domicile, tandis qu’en 2019, l’aide-soignante Anne-Sophie Pelletier avait raconté son quotidien dans « EHPAD, une honte française » (Plon).

Après la publication dans M le Mag du Monde en mars 2019 de « L’homosexualité interdite de séjour en EHPAD », Victor Castanet prévoit alors de consacrer une série de reportages aux personnes âgées.

Pendant 3 ans, de février 2019 à décembre 2021, l’auteur a enquêté sur le groupe Orpea, en interviewant d’anciens directeurs, des cadres de santé, des aides-soignantes, des cuisiniers, des familles, 3 anciens ministres de la santé, au total plus de 250 personnes. 200 entretiens enregistrés, des mails, des photos, des vidéos, des documents comptables, des rapports d’inspection alimentent donc ses écrits.

Créé il y a 30 ans, Orpéa est devenu le numéro un mondial du secteur des EHPAD et des cliniques, présent dans 23 pays, en Europe, en Amérique et en Asie, le groupe gère 1 110 établissements, plus de 110 000 lits et emploie 65 000 agents. Les tarifs d’hébergement en EHPAD varient entre 7 000 et 12 000 euros par mois, 380€ par jour et par personne, soit 6 fois le tarif moyen d’un EHPAD. A cela il faut ajouter l’accès internet, l’entretien du linge, le coiffeur, soit jusqu’à 600€ en plus par mois.

Le récit prend appui sur l’établissement « Les Bords de Seine » situé à Neuilly sur Seine, la résidence la plus luxueuse de France, mais aussi sur des établissements en Gironde, dans les Bouches du Rhône, les Vosges, la Corse, etc. « Mon objectif premier est de dépasser la question de la « maltraitance institutionnelle », un terme qui a la faiblesse de mettre tout le monde dans le même panier, de le diluer les responsabilités. » affirme l’auteur dans les premières pages du livre.

« Quand tu rentres au bord de Seine, tu as l’impression d’être au Paradis des personnes âgées, tapis rouge, vases gigantesques, moquette de 5 centimètres d’épaisseur, piano, orchidées blanches partout, bar rococo sur lequel est posé un seau à champagne, ça sent le jasmin. » raconte Saïda Boulahyane, aide-soignante. Mais, au fil des pages, on découvre une politique de maîtrise des coûts drastique passant par la réduction du nombre de soignants, de l’absentéisme non remplacé et le rationnement des produits d’hygiène et de santé.

Le système comptable est poussé à son extrême : 3 couches par jour, quel que soit l’état du patient, 2 biscottes au petit déjeuner, une madeleine au goûter, pas de stock, 3 soignants pour 125 lits, des fournisseurs qui versent au groupe des rétrocessions en fin d’année, des intervenants qui versent une « dîme » à Orpéa.

Le secret passe par la matrice : chiffres, tableaux, graphiques, indicateurs de performance, taux d’occupation (qui doit être à 95% minimum) et marge de l’établissement. Toute l’organisation est verrouillée par des logiciels internes, Orpéa a industrialisé la prise en charge des personnes âgées. « L’obsession, ce n’est pas le résident, c’est le chiffre ! » conclut un directeur. Le Groupe nomme des directeurs « nettoyeurs », crée un syndicat maison « Arc en ciel » pour donner l’illusion du dialogue social, tout est savamment orchestré et les pièces du puzzle s‘emboîtent à merveille pour faire du groupe le leader de la prise en charge des personnes âgées ou plutôt « du parcage de vieux » comme l’affirme le fondateur d’Orpéa.

Victor Castanet raconte la souffrance des familles, la fin de vie de l’écrivaine Françoise Dorin, qui a perdu 20 kilos et l’usage de la parole en trois mois. Elle est décédée d’un choc septique suite à une escarre massive au niveau de sacrum de la taille du poing non soignée, soigneusement cachée à sa famille.

Le livre décrit aussi la souffrance des personnels : aides soignants, cadre de santé, alternante au service RH, directeurs qui jettent l’éponge car ne se reconnaissent pas dans le modèle et les valeurs imposés par le groupe.

Les contrôles sont rares ou défaillants de la part des autorités de tutelles sanitaires, les liens entre les dirigeants d’Orpéa et certains responsables politiques occupant de hautes fonctions sont également dénoncés par le livre. L’ex-ministre de la Santé, Xavier Bertrand, est nommément décrit par un ancien cadre de la filiale du groupe en charge des cliniques, comme « l’assurance tous risques du groupe ».

Il n’y a pas une ligne, pas un mot de ces 387 pages qui ne renvoie pas à une question d’éthique.

France 2 a diffusé le mardi 1er mars 2022 dans l’émission Cash investigation une enquête menée pendant plusieurs mois sur les EHPAD et en particulier les Groupe Korian et Dom&vie. Les constats et les méthodes sont semblables aux écrits de Victor Castanet.

Parler de taux d’occupation, de maîtrise des dépenses ne me choque pas si l’objectif est de gérer au mieux de l’argent public pour améliorer en continue la prise en charge des résidents. Il y a en France 7 500 EHPAD, qui accueillent environ 600 000 résidents. Les EPHAD sont définis comme des lieux de vie c’est-à-dire que ce sont le domicile des résidents qui y séjournent (et même leur dernier domicile). On s’aperçoit que le modèle est obsolète puisque pour qu’ils soient efficients, et je ne parle pas de rentabilité, il faut que chaque EPHAD accueille au minimum 90 résidents. Quid d’un lieu de vie à 90, 120 ou plus ? Une colonie de vacances pour les personnes âgées ? Ou « du parcage de vieux » comme le nomme le fondateur d’Orpéa ?

Grâce aux progrès de la médecine, l’espérance de vie augmente. La prise en charge des personnes âgées et dépendantes est donc au cœur des politiques de santé publique depuis plus de 20 ans avec une volonté affirmée de maintien à domicile et donc de recul de l’âge d’entrée en EHPAD (85 ans). Dans la majorité des cas, on trouve donc des résidents en EHPAD qui sont très dépendants.

La parole se libère et de plus en plus de soignants et de familles s’autorisent désormais à dénoncer les pratiques déviantes. Il faut maintenant que la société civile et les pouvoirs publics réagissent et en tirent les conséquences, le débat est ouvert sur la prise en charge de nos aînés, la gestion et les contrôles des EHPAD. C’est aussi une problématique culturelle que l’on ne retrouve pas dans les pays africains ou asiatiques car les aînés sont pris en charge par leur famille.

La prise en charge des personnes âgées et de la dépendance est un problème de société qui mérite une réforme de grande ampleur pour répondre aux besoins de nos aînés c’est-à-dire à nos besoins dans quelques années. Le ratio professionnel (tout métier confondu)/résidents est au cœur du débat, ce ratio est de 5 pour 10 en France, de 12 pour 10 du Danemark. L’attractivité des métiers du grand âge, la formation et la valorisation des professionnels sont autant de pistes à explorer. On assiste à une véritable crise des vocations, comment inverser la tendance ? Comment redonner ses lettres de noblesse à la profession ?

Même si on peut déjà lister l’existence d’initiatives innovantes comme les maisons partagées du Tarn, les immeubles ou quartiers intergénérationnels, la colocation inter-générationnelle, l’habitat inclusif, ces dernières ne prennent pas en charge la dépendance et sont réservées à des personnes âgées valides et autonomes.

Après la crise Covid qui vient de déferler, il ne faut pas oublier que chaque jour des hommes et des femmes qui ont comme vocation « de prendre soin » font un travail exemplaire avec humanité et professionnalisme aux côtés de nos mères, de nos pères, de nos tantes, de nos frères…. Merci à eux.

Recension par Véronique Defloraine, Membre du Conseil d’orientation du site d’appui lorrain, Directrice des Services Économiques et des Travaux Centre Hospitalier de Jury les Metz.

Les Fossoyeurs

Agenda

Des annonces sur les formations et évènements scientifiques ou culturels à venir

Hélène Gebel, Coordinatrice régionale de l'EREGE

Séminaire

Éthique de la recherche, intégrité et responsabilités scientifiques en situation de crise sanitaire

En partenariat avec le Cnrs, l’Inserm, l’Équipe recherches en éthique et épistémologie (CESP), L’institut d’étude de droit public Paris-Saclay, le Département de recherche en éthique Paris-Saclay ; le Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique de Paris-Saclay et l’Espace éthique de la Région Ile-de-France proposent un cycle de 8 rencontres sous forme de séminaire sur le thème : « Éthique de la recherche, intégrité et responsabilités scientifique en situation de crise sanitaire ».

Affiche: éthique de la recherche

Publication, open science

Lundi 4 avril 2022, 18h-20

L'une des grandes nouveautés pour la recherche scientifique porte sur la manière et la vitesse dont les résultats scientifiques ont été diffusés, à la fois dans les revues scientifiques et ce au prix d'un risque pris quant à la qualité des évaluations, mais aussi sur des archives ouvertes en prépublication. Ce modèle invalide-t-il au moins en partie celui des revues traditionnelles ? Les deux voies doivent-elles être pensées de manière complémentaire ? Comment la hiérarchisation des contenus scientifiques peut-elle désormais être envisagée ?

Les paradoxes de l'anticipation

Lundi 9 mai 2022, 18h-20

Dès le début de la crise ont été pointées des négligences quant aux efforts scientifiques qui auraient permis de mieux anticiper, voire de prévenir, la pandémie (étude des coronavirus, de leur transmission inter-espèces, etc.). Pourtant, dès que l'on s'engage dans l'anticipation et la prévention et que l'on y investit les moyens nécessaires, on s'expose aux critiques qui pourront pointer l'inefficacité des mesures en cas de survenue de la catastrophe, et leur inutilité en cas de non-survenue d'un événement jugé impossible. Comment mieux préparer nos sociétés à investir dans l'anticipation ?

Les régulations éthiques de la recherche. De nouvelles structures à inventer ?

Lundi 13 juin 2022, 18h-20

S’il importe, comme on l’a fait au cours de ce séminaire, de mieux comprendre « de quelle science avons-nous besoin » en situation de crise sanitaire, encore est-il nécessaire de créer les conditions favorables à l’exercice d’une science responsable, soucieuse en toutes circonstances des valeurs dont les chercheurs et les institutions doivent être les garants. Les instances d’éthique de la recherche ont-elles à proposer des repères repensés à la suite de ces temps d’incertitudes et parfois d’équivoques ? Comment parvenir, dans le cadre d’une concertation, à restaurer un rapport de confiance constructif entre science et société ?

Consulter le programme et les conditions d’inscription

Colloque

L'éthique entre résistance et résilience - Quand la passivité n’a pas sa place. Appel à candidature

Affiche: entre résistance et résilience

« Le verbe « résister » doit toujours se conjuguer au présent. » Lucie Aubrac (1912-2007), Cette exigeante Liberté - Entretiens avec Corinne Bouchoux, Editions de l’Archipel, 1997.

Il en sera donc ainsi pour le thème de ce Colloque National des Espaces de Réflexion Ethique Régionaux. Dire que l’éthique se situe spatialement entre résistance et résilience peut laisser penser à une antilogie, l’éthique se situant alors entre ces deux extrêmes. Or le terme de résistance n’est pas l’antonyme de résilience : ces deux termes sont bel et bien, synonymes ; entre eux, c’est une question de degré et de mouvement ! Tandis que l’un fait front, s’arc boute avec force, l’autre rebondit dans une intelligence apaisée, et active pour transformer l’agir. En quoi notre actualité, qu’elle soit virale et pandémique, ou économique, sociale, politique, souvent relayée par les médias, les réseaux sociaux, nous invite à résister… parfois à corps défendant, presque non intentionnellement ! Dans une vision naturaliste, on parlerait de résistance vitale. Mais résister, être résilient, ce n’est pas qu’une posture, un réflexe vital, c’est un travail de discernement, attentif, un travail éthique !

Axe 1
La vulnérabilité dans notre société, entre fatalisme du destin, sollicitude, coût financier et humain, et choix de société. Quelle place pour une éthique de la résistance en 2022 ?

Le premier enjeu du soin, qu’il soit médical ou relationnel, c’est la vulnérabilité. Cet axe se propose de revisiter les rapports complexes de la résistance éthique et de la vulnérabilité. Cette dernière peut transformer le regard du soignant, de l’aidant, de la société et favoriser une sorte de bienfaisance normative ou un paternalisme abusif qui enfonce l’autre dans sa vulnérabilité : il s’agira ici de changer de regard, de ne pas s’arrêter aux pertes, mais de considérer les ressources restantes. A contrario, cette vulnérabilité, comme un écho à notre fragilité, peut également faire peur et conduire à exclure, à mettre à distance de la société dite « bien portante ». Mais cette vulnérabilité peut également attirer la convoitise d’une nouvelle économie ; comment appréhender ce risque ? Comment résister ?

Axe 2
Soigner les soignants !

La crise pandémique virale, comme une mise en abyme de la crise du système de santé, pointe avec acuité la « particulière gravité » du mal dont souffrent les soignants et les usagers. Dans des institutions dont la visée performative tend (au mieux) vers l’équilibre difficile entre soins et coût, alors que d’autres ont résolument pris le parti de l’optimisation financière et de la rentabilité, les soignants (et les soignés) sont mis à l’épreuve du manque, à l’épreuve de ce qui fait défaut, matériels, thérapeutiques, lits, personnel… et manque de temps. Plus que la fatigue des corps, c’est la perte du sens des pratiques de soin et d’accompagnement, la contradiction dans nos valeurs, la culpabilité, qui usent et génèrent souffrance, perte de l’estime de soi, passivité, découragement, et démissions en série. Par ailleurs, comme facteurs aggravants, les incertitudes liées à la crise COVID, les hésitations, les injonctions contradictoires ont pu faire basculer, par moment, notre système de santé vers un totalitarisme sanitaire au détriment de l’humanité des soins. Ainsi l’éthique médicale, l’éthique professionnelle pourrait être un facteur de résilience du système de santé ; La résistance soignante étant l’acte I de cette résilience, « la résilience : résister et se construire », écrit Manciaux en 2001.

Axe 3
En quoi l’éthique peut-elle être résistante ?

Une résistance à l’indifférence avec l’éthique du care entre sollicitude, empathie et considération ; une résistance aux idées reçues, aux « faits alternatifs », aux routines, avec l’indispensable exercice de discernement éthique ; une résistance aux injonctions verticales, donc à l’obéissance passive ; en effet l’éthique médicale est à l’articulation d’un « courant descendant » (la loi, les recommandations) et d’un « courant horizontal » (la relation soignants-malades) qui définit l’éthique de proximité. Et les tensions qui existent entre les deux, quand elles sont ignorées, conduisent pour un temps vers une obéissance passive mais le plus souvent, conduisent à une résistance appelant à un double devoir : le devoir de citoyenneté, (Penser, « Ose te servir de ton propre entendement », Kant ; et « résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre ; par la résistance, il assure la liberté », Propos sur les pouvoirs, Alain), mais aussi le devoir d’adaptation des recommandations, des lois, en somme substituer le principe d’équité à la justice (Ethique à Nicomaque, Aristote).

Axe 4
Quand le renoncement ou le lâcher prise deviennent acte de résilience

Quand le renoncement ou le lâcher prise deviennent acte de résilience Considérer le patient dans son altérité, c’est accepter sa résistance pour l’amener vers le chemin de la résilience et de l’autonomie, en faisant le pari de l’éducation thérapeutique dans le cadre des affections chroniques. Mais la résistance ne doit pas être « crispation ». En effet elle peut dans certaines situations perdre sa visée éthique et c’est alors qu’elle peut conduire à un enfermement comportemental. Il en est ainsi notamment : • quand la résistance a épuisé ses ressources éthiques et peut conduire à des soins futiles ou à un acharnement thérapeutique : elle doit alors laisser place, avec discernement, au renoncement. • quand la résistance a des visées qui dépassent les capacités du malade affecté par un handicap ; Elle doit laisser place à une adaptation appelant à une reconfiguration autonomique au lieu d’imposer une bienfaisance normative (« Médecine physique et de réadaptation : entre bienfaisance normative et éthique de la compréhension », Gil). • quand les étapes de la fin de vie, telles que décrites par E Kübler-Ross, en 1975 permettent de passer de divers stades de passivité souffrante (sidération) ou de résistance (révolte, ultimes requêtes) au « lâcher-prise » d’un corps meurtri par sa propre résistance et par celle des soins (Gil 2013). Comment les Espaces de Réflexion Ethique Régionaux peuvent-ils être des lieux où des initiatives et des propositions sont entendues, discutées et retenues pour co-construire avec l’ensemble des acteurs de la démocratie sanitaire, une éthique toujours en réponse à l’universel et au respect de chaque être humain et de sa singularité ?

Informations pratiques
L’ensemble des disciplines (sciences humaines, sciences économiques et juridiques, sciences et techniques, sciences médicales, paramédicales et pharmaceutiques, etc.) susceptibles de contribuer à une réflexion éthique dans le domaine de la santé.
Les propositions doivent s’inscrire dans l’un des 4 axes retenus dans le cadre de l’organisation du colloque.

Les propositions de communication devront nous être adressées par email à l’adresse : erena.lim@chu-limoges.fr Jusqu’au 10 juin 2022 inclus.

Ces propositions comprendront :

  • le titre de la communication
  • l’axe de communication choisi
  • la liste des auteurs
  • le nom de l’orateur et son mail, fonction ou statut
  • l’ERER, l’équipe de recherche et/ou l’établissement de rattachement
  • un résumé de la communication (400 mots)

Les auteurs seront informés secondairement des modalités de présentation de leur communication : orale (15 minutes) ou affichée (poster)