Ethique, psychanalyse et périnatalité
Brigitte Frosio-Simion,
psychologue-psychanalyste
Il y a plus de trois siècles, Baruch Spinoza trace une voie évitant le clivage habituel psyché- soma, dans L’Éthique (1677) : « le corps et l’esprit ne sont pas des entités différentes mais bien une même chose, envisagée différemment ». Le paradigme de l’assertion peut se lire ainsi : l’esprit, c’est l’idée du corps. Ainsi, l’idée du corps et le corps ne sont pas deux êtres distincts, mais renvoient à une seule et même entité considérée tour à tour comme une réalité matérielle ou comme l’objet d’une pensée réflexive.
Chez Georges Canguilhem, les notions de normal et pathologique s’articulent autour des considérations d’éthique appliquée qui doivent inclure les concepts de « non-malfaisance » et de « bienfaisance », de « respect de l’autonomie » et de « dignité de la personne », de « prise en compte de la vulnérabilité » et de « conduite équitable ». En périnatalité ces notions se complexifient du fait des interactions médico-psycho-sociales influant sur les devenirs de chaque nouveau membre de la famille à venir. Nous sommes d’emblée face à l’existence d’une multiplicité de patients potentiels : le bébé, la mère, la femme enceinte, le fœtus, la future mère, le co-parent (nouvelle appellation d’une place qui se devrait d’être tierce).
L’éthique en périnatalité questionne le plus souvent, les IMG et les soins palliatifs, mais nous n’avons pas, ou peu, lu d’articles mentionnant les questionnements éthiques des soins en périnatalité qui ont d’ailleurs pris un sens particulier pendant la pandémie (nous avions à ce propos interpellé la cellule de soutien éthique par une saisine).
Le CH de Chaumont-Bourbonne les Bains-Langres propose des temps de questionnements éthiques autour des pratiques soignantes en périnatalité. Ces espaces de paroles ont été créés dans les suites d’un événement indésirable grave qui a profondément affecté l’ensemble des équipes. Les RMM (Revue de mortalité et de morbidité) apportent l’éclairage technique, mais ne prennent pas compte les souffrances psychiques. Nous avons alors co-construit un nouvel espace d’élaboration de l’articulation psyché-soma dans un corps contenant qui est le groupe d’analyse.
Marie-José DEL VOLGO dans son dernier ouvrage « Le soin menacé. Chronique d’une catastrophe humaine annoncée » (Ed. du Croquant 2021) évoque clairement la déshumanisation hospitalière (drôle de signifiant dans ce contexte inhospitalier !) des équipes dont la souffrance est méprisée, relevant de l’anecdote. « Le prendre soin et le souci de la vulnérabilité ne doivent pas passer à la trappe ». L'instant de dire, dispositif de travail psychanalytique, créé au sein d'une entité médicale de plus en plus technique, organise cette rupture et cette ouverture dans l'enchaînement des soins et des examens complémentaires, il donne du sens aux actes parfois coupés du réel de chacun.
Il faut aussi entendre les souffrances exprimées en psychothérapie de la part des patientes à propos de leur expérience de la maternité (lieu et fonction), qui nous ont amenée à réfléchir à une écoute spécifique à mettre en place pour ces difficultés à devenir mère et plus largement à devenir parents.
Ces deux scènes sur lesquelles se jouent, et se réactualisent les conflits psychiques enfouis (celle de la parentalité à venir et celle de la prise en charge médicale et paramédicale) doivent être vues et entendues.
Diverses questions éthiques peuvent être soulevées :
- Les interrogations des soignants et/ou services de Protection Maternelle Infantile face à des mères qui semblent ne pas s'occuper de leur bébé sont peut-être à appréhender du côté de la Dépression Post-Natale. De nombreuses recherches ont montré l’impact de la D.P.N sur l’évolution des enfants, évolution tant sur le plan affectif et psychopathologique que sur le plan cognitif et de la maturation cérébrale. Les dépressions postnatales occupent aujourd'hui le premier rang des complications du post- partum (10 à 20%). De ce fait, son dépistage, sa prévention et son traitement s’imposent. Ceci ne peut être fait que par l’action conjointe des psychiatres, psychologues, psychanalystes, gynécologues, sage-femmes, puéricultrices, aide- puéricultrices et de toute personne prenant en charge les femmes enceintes et en post-partum, plus particulièrement celles à risque. Des questionnaires d’évaluation de la DPN sont donnés aux parturientes.
- Les interrogations autour de la capacité (ou non) à devenir parents pour certains couples entraînent des discussions entre les soignants. Nous avons mis en place à Chaumont, des réunions d’analyses de situations à risques en collaboration avec les services de gynécologie, maternité, pédiatrie, néonatologie, pédopsychiatrie, P.M.I et Unité de psychologie. Nous évoquons les actes soignants au regard d’une éthique des soins permettant l’élaboration de nouvelles pratiques (consultations en néonatologie offrant une écoute à toute patiente qui le souhaiterait, entretiens divers au cours de la grossesse, accueil des co.parents-mères-enfants en souffrance…)
- L’éthique en périnatalité questionne aussi le désir d’enfant et ses avatars. Une demande de maternité ou paternité ne signifie pas toujours désir de rencontre d’un sujet, petit d’homme, différent de celui imaginé et idéalisé. L’éthique de cet accompagnement de la découverte réciproque consiste en une proposition d’accueil des souffrances liées à la confrontation à la réalité de cette naissance. Il n’y a pas de réponses toutes faites, pas de recettes, juste un accueil des difficultés et des tentatives de résolutions de celles-ci.
Il nous semble que « l’écoute psychanalytique » du matériel psychique contenu dans les manifestations somatiques, les comportements, les expressions affectives, les mots utilisés, les interventions sur le cadre, etc. ouvre un espace de constructions possibles de sens et de soins singuliers. Les circonstances qui entourent l’accouchement et les premiers moments de vie avec le nourrisson peuvent être psychiquement déstabilisants et même recéler un potentiel traumatique à ne pas sous-estimer (césarienne, hémorragie, éclampsie…de la maman, prématurité, malformations, souffrance néonatale… du bébé). C’est pourquoi, il est important d’avoir une certaine connaissance de ces aspects médicaux pour pouvoir aller au-delà de ces vécus traumatiques et toucher aux mouvements psychiques qu’ils peuvent engendrer. Les circonstances d’accueil pendant la période COVID furent par instant et dans certains lieux, désastreuses pour l’enfant et ses parents (le port de masques quand ils étaient seuls avec le bébé, les interdictions de visites…). J’ai pu entendre le silence des enfants en l’absence de visites de leurs parents, des parents qui ne savaient plus s’adresser à leur enfant car sidérés par l’excès hygiéniste.
Nous tenons à faire reconnaître la nécessité d’une recherche en éthique autour de la périnatalité afin de proposer un accueil et une prise en charge pertinents à ces parents en devenir quelles que soient les conditions sanitaires du jour.