Décembre 2023 - N°8

édito

Fin de vie : la nouvelle loi tarde

Pr Gérard Audibert,
Directeur régional de l’EREGE

Depuis le lancement de la convention citoyenne le 13 septembre 2022 la loi modifiant le cadre législatif de la fin de vie se fait attendre.

Voilà plus d’un an que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a publié l’avis 139 : « Questions éthiques relatives à la fin de vie : autonomie et solidarité ». Dans ce texte, le CCNE ouvre la porte à une possibilité légale d’assistance au suicide, « aux personnes majeures et atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic est engagé à moyen terme ». Il s’agit d’un délai flou qu’on borne habituellement entre quelques semaines et quelques mois (six à douze selon les pays).

Cet avis a été l’occasion de lancer de multiples consultations sur le sujet dont la convention citoyenne portée par la Première Ministre Mme Elisabeth Borne. Ces consultations ont interrogé les limites des lois actuelles encadrant la fin de vie en France, et l’opportunité de légiférer pour dépénaliser une aide active à mourir. A date, le projet de loi n’est pas encore connu, sa rédaction devrait être effective d’ici à la fin d’année 2023, pour un examen au Parlement au cours du premier semestre 2024.

Au cours de ces derniers mois, divers groupes se sont exprimés sur ce sujet sensible. Le premier est celui des soignants. L’Académie de médecine, comme le Conseil national de l’ordre des médecins, si elle reconnait les limites des lois actuelles et accepte l’éventualité d’une dépénalisation du suicide assisté, strictement encadrée, exclue l’euthanasie. Beaucoup de sociétés savantes médicales, au premier rang desquelles la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, se sont positionnées contre toute légalisation de l’aide active à mourir. Le deuxième groupe est celui des politiques, avec notamment, une prise de position de la Commission des affaires sociales du Sénat contre toute modification de la loi actuelle. A noter la publication d’un avis minoritaire en faveur d’une dépénalisation de l’aide active à mourir. Le dernier groupe est celui des usagers du système de santé, représentés par leurs associations regroupées au sein de France Assos Santé. Celle-ci, mettant en avant le principe d’autonomie des personnes, demande d’une part que le débat sorte de la sphère médicale et réclame d’autre part une ouverture totale de l’aide active à mourir.
Les voix des trois groupes s’unissent pour réclamer un plan ambitieux de développement des soins palliatifs, préalable indispensable à toute prise en charge de la fin de vie, alors que le maillage territorial des services et unités mobiles de soins palliatifs est encore très insuffisant sur notre territoire.

Dans ce contexte, Echos Ethiques ne pouvait être absent des débats. Il nous a semblé pertinent d’apporter un éclairage sur des sujets peu abordés au cours des échanges de ces derniers mois. Dans ce numéro, seront donc abordées la problématique de fin de vie des mineurs et les difficultés liées à l’altération des fonctions cognitives en fin de vie, avec une réflexion sur l’apport des directives anticipées dans cette situation.

2023 aura été l’année de l’effervescence des discussions autour de la fin de vie. Selon les décisions parlementaires, ces débats pourraient être le prélude à un virage sans précédent de la médecine et de la société française. Cependant, la loi ne fera pas tout et la réflexion éthique, loin des positions dogmatiques, devra plus que jamais guider les actions des soignants, à l’écoute de leurs patients en fin de vie.

Définition

Que recouvre l’expression « Aide active à mourir » ?

Amandine Andruchiw, Coordinatrice du site d’appui champardennais

Que recouvre l’expression « Aide active à mourir » ?

Amandine Andruchiw,
Coordinatrice du site d’appui champardennais

L’« Aide active à mourir » se rapporte à tout acte ayant pour finalité de provoquer la mort d’une personne atteinte d’une maladie incurable en phase avancée, à sa demande. Seulement, comme le précise Le panorama des législations sur l’aide active à mourir dans le monde au 31 janvier 2022 établi par Perrine Galmiche pour le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie établi par Perrine Galmiche pour le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, selon les législations, l’aide active à mourir peut désigner soit l’euthanasie, soit le suicide assisté, soit les deux. C’est pourquoi il est nécessaire de se référer au contexte des pays qui ont légiféré sur l’aide active à mourir, pour savoir quelle(s) pratique(s) est ou sont désignée(s) par le terme employé (euthanasie, suicide assisté, ou les deux) et quelles sont les modalités et les conditions déterminées par la loi qui les accompagnent.

L’euthanasie se définit par le fait de donner la mort délibérément à un malade qui est en situation d’incurabilité et/ou de souffrances réfractaires, et qui le demande, après évaluation médicale. Une substance létale est alors administrée par un tiers, généralement médecin. Le suicide assisté, quant à lui, est entendu comme le fait de donner à un malade qui le demande, après évaluation médicale, les moyens nécessaires et suffisants pour qu’il mette lui-même un terme à sa vie. Un tiers, médecin, prescrit la substance létale que la personne elle-même ira chercher à la pharmacie avant de se l’administrer elle-même (en présence ou non d’un médecin, selon les législations). Par conséquent, si l’acte est certes rendu possible par la médiation d’un tiers, il n’en reste pas moins qu’à la fin il s’agit d’une auto- administration de la substance létale.

À ce jour, l’aide active à mourir est interdite en France, mais elle existe dans d’autres pays qui l’ont dépénalisée selon des encadrements législatifs distincts et spécifiques. C’est le cas des Pays-Bas, du Luxembourg, de la Nouvelle-Zélande, de l’Espagne, de la Belgique, de l’Australie, du Canada. En revanche, si en Suisse, en Autriche et dans une dizaine d’états des États-Unis, le suicide assisté est dépénalisé, l’euthanasie quant à elle est interdite.

Le Conseil Consultatif National d’Ethique (CCNE) considère pour sa part, dans son avis 139 Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité paru en septembre 2022 qu’« il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte. » Ainsi, il recommande trois grands axes que sont :

  1. Le renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs
  2. Les exigences éthiques incontournables en cas de dépénalisation de l’aide active à mourir
  3. La nécessité du débat public notamment par le biais des ERER et du CESE

Pour le CCNE, il y aurait d’une part « une fraternité qui s'exprime dans l'aide active à mourir », et d’autre part, « une autre [fraternité] dans l’aide à vivre jusqu’à la mort dans des conditions permettant le soulagement des souffrances et le respect de l’autonomie des personnes. » Et en effet, au sein des débats menés en France sur ce sujet cette année, notamment par les ERER, mais aussi par la convention citoyenne (CESE), c’est bien une tension forte entre ces deux dynamiques d’expression de la solidarité que nous avons senti poindre.

À ce jour, en France, la présentation d’un projet de loi ouvrant à l’autorisation d’une « aide active à mourir » et à la modification des lois actuelles n’a pas encore eu lieu.

Un regard sur l’Aide active à mourir en psychiatrie avec Monsieur Schmitt psychiatre au centre hospitalier de Jury (57) pour interroger la notion de souffrance psychique.
par Mme DEFLORAINE, Présidente du Conseil d’orientation du site d’appui lorrain.

Recherche

Coups d’œil sur la recherche en éthique

Pr Christophe de Champs, Président du Conseil d'orientation champardennais de l'EREGE et Dr Yves Alembik, Président du Conseil d'orientation alsacien de l'EREGE

Aide active à mourir : interroger le cas des enfants

Bénédicte Thiriez,
Coordinatrice du site d’appui lorrain
Yves Alembik,
Président du Conseil d’orientation du site d’appui alsacien

La fin de vie est au cœur des débats, interroger le cas des enfants.

Dans le contexte d’une évolution de la loi accompagnant la fin de vie vers la mise en œuvre d’un droit à une aide médicale à mourir, la question des mineurs est à considérer. La société française de pédiatrie, dans le communiqué de presse du 27 février 2023 s’interroge sur « les effets d’une éventuelle modification de la législation de fin de vie » . Faisons le point sur l’existant.

Depuis 2005, la loi dite Léonetti a permis le développement des soins palliatifs dans les unités accueillant les enfants en situation critique et ce, sans limite d’âge. Cette loi a permis de prendre en considération la relation de l’enfant avec ses parents au-delà des propositions thérapeutiques (en évitant l’obstination déraisonnable), en y introduisant la possibilité de prendre le temps utile à l’accompagnement. La question du consentement de l’enfant aux soins qui lui sont prodigués divise cependant encore. Le Guide de bonnes pratiques concernant la participation des enfants au processus décisionnel sur les questions relatives à leur santé du Conseil de l’Europe, précise les âges auxquels les enfants sont considérés par le législateur de chaque pays capables de prendre des décisions : entre 12 et 18 ans dans les faits en ce qui concerne les mesures diagnostiques ou thérapeutiques invasives. Cela renforce donc l’idée de la difficulté à évaluer ce paramètre. La question de l’assentiment de l’enfant y est également évoquée, une manière de remplacer le consentement lorsqu’il n’en est pas jugé capable : l’enfant sera invité à participer activement aux soins de santé et de développement le concernant. L’obtention de cet assentiment serait donc nécessaire de la part de l’enfant en plus du consentement de ses parents. Fondamentale, afin de recevoir tout soin, cette notion d’assentiment ne permettrait cependant pas toujours le respect de la décision de l’enfant notamment lorsque son avis diverge d’avec celui de son parent : dans certaines situations de soins, la prise en considération de l’opposition verbale ou physique, des pleurs de l’enfant encore jeune peut être limitée, prétextant que ce dernier est dans l’impossibilité de faire le lien entre le geste réalisé et le soin nécessaire pour garder ou recouvrer une bonne santé. Faut-il pour autant passer outre ses manifestations de refus en utilisant la contention ou le forçage, parfois avec le consentement des parents ?

Sur le plan juridique de nombreuses questions se posent également concernant la participation de l’enfant et/ou de l’adolescent aux décisions le concernant. En effet, les parents, détenteurs de l’autorité parentale consentent aux soins prodigués à leur enfant après avoir reçu l’information médicale adéquate. Le code de déontologie médicale avance également que le mineur doit être consulté s’il est apte à exprimer sa volonté. La difficulté résidera ici dans la manière d’apprécier la maturité de l’enfant à participer aux décisions concernant sa fin de vie, en mettant en exergue sa manière de s’y projeter. L’accompagnement par les soignants est ici indispensable afin que l’information donnée soit la plus adaptée possible au niveau de compréhension de l’enfant pour que son consentement soit éclairé. Un autre questionnement réside dans la difficulté que rencontreraient les équipes soignantes face à un désaccord entre la famille et l’enfant mineur concernant l’arrêt des thérapeutiques actives ou la mise en place d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès.

Ces différents sujets de tension éthique concernant la fin de vie des enfants nous amènent à réfléchir à la structure des soins proposés aux enfants de manière générale et notamment à la temporalité nécessaire aux soignants pour faire au mieux, pour expliquer un acte de soins avant de le poser, pour rester à l’écoute de la parole et des gestes de l’enfant, aussi petit soit-il afin de l’accompagner sans se laisser happer par la nécessité de faire au plus vite.

Crées dans la suite du Plan national des soins palliatifs en 2010, les Équipes ressources régionales en soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP) sont présentes sur tout le territoire national. Elles ont pour objet d’accompagner les enfants atteints de pathologies menaçant ou limitant leur vie, leurs parents et de soutenir les professionnels de proximité. Composées d’un médecin, d’un psychologue, d’une puéricultrice elles interviennent auprès des équipes et sont une ressource essentielle pour accompagner dans les situations de maladies graves, voire de fin de vie. Par ailleurs, une plateforme de recherche et d’expertise en soins palliatifs pédiatriques a vu le jour cette année à Lyon : on objectif : « mieux comprendre le contexte psychosocial de la maladie au-delà de l’enfant, sur les parents et la fratrie. » mais aussi réfléchir sur les molécules utilisées, et leur mode d’administration afin d’éviter les soins douloureux Des données cliniques probantes pourraient nourrir les réflexions du législateur et lui permettre d’ajuster au mieux la manière de prendre en considération la parole et la volonté de l’enfant au cours des soins.

presse

Les articles scientifiques ou grand public qui posent des questions éthiques

Pr Gérard Audibert, Directeur de l'EREGE et Dr Patrick Karcher, Directeur du site d’appui alsacien

Directives anticipées et maladie d’Alzheimer et apparentées

Patrick KARCHER,
Directeur du site d’appui alsacien

Dans l’attente de l’annonce, à nouveau retardée, d’un projet de loi sur la fin de vie, il peut être utile de réfléchir sur la rédaction de directives anticipées (DA) par les personnes porteuses de maladie d’Alzheimer ou apparentées, maladies qui, dans leur évolution tardive, conduisent à une perte de capacité décisionnelle. Cette réflexion apparaît d’autant plus importante que, tant la convention citoyenne que le rapport parlementaire sur la fin de vie, recommandent la possibilité d’accéder à une aide active à mourir si elle est inscrite dans les DA. A ce jour, seuls les Pays-Bas ont légalisé l’euthanasie en vertu d’une déclaration écrite établie antérieurement pouvant bénéficier à des personnes atteintes de démence avancée. « mieux comprendre le contexte psychosocial de la maladie au-delà de l’enfant, sur les parents et la fratrie. » En Belgique et au Luxembourg, l’euthanasie peut également se faire sur le fondement d’une déclaration anticipée rédigée en présence de deux témoins, mais uniquement si la personne est inconsciente et que son état est jugé irréversible.

Je vous propose deux textes et une recommandation qui abordent la rédaction anticipée de ses volontés lorsqu’on est porteur d’une maladie neuro-évolutive

Dworkin R. Life’s Dominion : An Argument about Abortion, Euthanasia, and Individual Freedom. New York : Vintage Books ; 1988

R Dresser, “Dworkin on Dementia: Elegant Theory, Questionable Policy” (1995) Hastings Center Report 6.

Il s’agit de deux textes, reflets d’un débat sur la question qui opposa dans les années 90 les deux philosophes nord-américains Donald Dworkin et Rebecca Dresser. Les directives anticipées sont fondées sur le principe de « l’autonomie antérieure », qui est le droit pour un individu compétent de prendre des décisions fondées sur ses intérêts et valeurs pour un temps ultérieur où il aura perdu sa compétence à décider. Cette anticipation pose la question philosophique de la permanence de l’identité : les valeurs, conceptions et choix de la personne peuvent-ils changer entre le moment de la rédaction et celui de l’application des directives ? Ainsi, les personnes porteuses de démence pourraient s’adapter à leur nouvelle condition et ressentir un bien-être qu’elles n’avaient pas imaginé avant la maladie, tant il est difficile d’anticiper ce que peut être la vie avec une démence avant l’installation de la maladie.

Pour Dworkin, seuls comptent les valeurs et désirs exprimés par la personne avant sa maladie quand elle était en mesure de discerner ce qui est bon pour elle. Dworkin fait la distinction entre les intérêts expérimentaux : plaisirs, contentement, absence de douleurs… qui sont temporellement marqués et les intérêts critiques : faire dans sa vie ce que l’on considère comme bien, et cela quel que soit les conditions, et le moment de leur réalisation. Si la personne n’avait pas de trouble cognitif, il apparaitrait évident qu’elle puisse négliger des intérêts expérimentaux pour réaliser ses intérêts critiques ; il n’y a donc pas de raison qu’il en soit autrement en cas de démence, affirme Dworkin.

Pour Dresser, la personne porteuse d’Alzheimer n’est plus forcément la même personne et l’on ne devrait tenir compte que des préférences, désirs et besoins de la personne Alzheimer que l’on a en face de soi et qui peuvent différer de ceux de la personne antérieure à la maladie. Elle tient ainsi davantage compte, pour reprendre la distinction de Dworkin, des intérêts expérimentaux de la personne malade et soutient qu’on ne peut rien savoir de ses intérêts critiques qui peuvent avoir évolué avant la maladie. Elle rappelle que des malades conservant leurs capacités intellectuelles décrivent combien la maladie ont pu bouleverser leurs intérêts critiques.

La question continue à faire l’objet de multiples débats : doit-on respecter les directives de limitation thérapeutique d’un dément visiblement heureux (décrit comme « pleasantly demented » dans la littérature actuelle), directives écrites à un moment où il jugeait l’état de démence inacceptable pour lui ?

L’aide active à mourir pour les personnes en situation d’inaptitude : le juste équilibre entre le droit à l’autodétermination, la compassion et la prudence (2019) Ed de La Direction des communications du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.

Dans le cadre de la légalisation de l’Aide Active à Mourir (AAM), le ministère de la santé du Québec a suscité une réflexion sur l’extension de cette disposition aux personnes devenues incapables de consentir.

Un groupe d’experts s’est ainsi réuni se proposant de « mener une réflexion sensible, mais non idéologique, et approfondie quant aux enjeux que pose l’exercice du consentement anticipé et examiner les risques associés à cette pratique, afin de pouvoir mieux en établir les balises ».

L’obligation, dans l’état actuel du droit canadien, de réitérer le consentement juste avant la réalisation de l’AAM, pourrait amener, selon les experts, des personnes à devancer leur demande d’AAM de peur de perdre leur aptitude au fur et à mesure de l’évolution de leur maladie, « se privant possiblement de semaines, voire de mois, de vie ». Le risque de suicide, « usant de moyens rudimentaires », est également mis en avant.

Les objections à la possibilité d’une décision anticipée, déjà mobilisées dans le débat Dworkin- Dresser, sont bien sûr repris : la difficulté à se projeter dans le temps de manière réaliste, la sous-estimation des capacités d’adaptation et de résilience face à la maladie et au handicap tant physique que psychique. Néanmoins ces objections sont rejetées par les experts, notamment, car « une maladie dégénérative (…) entraîne la transformation profonde du soi et la perte des facultés cognitives mêmes qui rendent possible la résilience » ! Ces objections doivent néanmoins inciter à « mieux réfléchir aux balises et aux normes à mettre en place si cet exercice doit effectivement être autorisé ». Parmi les balises proposées : il s’agirait non d’une directive mais d’une demande, n’ayant pas la même force exécutoire contraignante pour les médecins ; cette demande ne pourrait être faite qu’après avoir obtenu un diagnostic de maladie grave et incurable ; elle devrait être acceptée par deux médecins alors que la personne est encore pleinement apte à décider (excluant les personnes n’ayant jamais été aptes à consentir) ; les autres règles seraient celles qui régissent l’AAM au Québec.

Les membres du Groupe d’experts recommandent donc de permettre aux citoyens, selon certaines conditions, d’exprimer de façon anticipée leur volonté d’obtenir une AAM arguant qu’« un diagnostic (de) maladie neurodégénérative ne devrait pas nous priver du droit de choisir une fin de vie conforme à nos valeurs ».

Depuis 2021, au Canada, une révision de la loi permet désormais, en ce qui concerne les patients dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible, de renoncer à l’obligation de fournir le consentement final avant l’AAM mais le motif de maladie mentale reste exclu du périmètre de la loi.

Si la loi française à venir devait permettre d’accéder à une AAM par des directives anticipées, il sera essentiel qu’elle modifie également le cadre de celles-ci. Il faudrait, comme cela est suggéré par Cressida Auckland dans un article intitulé « Protégez-moi de mes directives », s’assurer que les directives anticipées ont été rédigées dans des conditions d’information et de compréhension satisfaisantes, qu’elles sont libres et informées. L’auteure préconise ainsi que les directives anticipées soient écrites, datées et signées par la personne et son médecin, attestant qu’elle est compétente, informée et libre de toute pression.

événements

Un retour argumenté sur les manifestations réalisées ou soutenues par l’EREGE

Laure Pesch, Coordinatrice du site d’appui alsacien

Au cours de la fin de l’année 2022 et de l’année 2023 une grande partie du travail des trois sites d’appui de l’EREGE a été dédié à la réflexion sur l’accompagnement de la fin de vie. L’ambition de ce travail ? Donner au plus grand nombre des outils, des connaissances pour consolider son savoir et construire son opinion dans un débat qui touche à l’intime et au collectif. Et ce, dans le respect de la neutralité qui incombe aux missions des Espaces de Réflexion Ethiques Régionaux.

Mockup

Un webinaire

L'EREGE a par ailleurs organisé un webinaire afin d’aller plus loin dans la réflexion autour de trois points importants qu’il semblait essentiel de questionner davantage parce qu’il participe chacun d’une manière d’accompagner les personnes malades et en fin de vie.

  • La discussion anticipée avec Monsieur Patrick KARCHER-directeur du site d’appui alsacien
  • La personne de confiance avec Monsieur Alain LEON-directeur du site d’appui champardennais
  • Le rôle des aidants avec Monsieur Jean Michel MEYER-président régional de France Assos Santé

En attendant le projet de loi qui devrait être présenté en conseil des ministres avant la fin du mois de décembre Monsieur Gérard AUDIBERT directeur du site lorrain et directeur régional a fait un état des lieux des actualités et rapports remis sur ce sujet et animé le débat avec les participants.

Webinaire_Fin de vie : Regards croisés_EREGE_Septembre2023

culture

Tour d’horizon d’œuvres qui nous permettent d’aborder des questionnements éthiques de manière singulière

Patrick Karcher, Directeur du site d’appui alsacien

Laure Pesch, Coordinatrice du site d’appui alsacien

Sélection des livres de l'édition n° 8
Lecture Romans

Les mémoires d’un chat

Hiro ARIKAWA Ed Babel (2017)

Le goûter du Lion

Ito OGAWA Ed Picquier (2022)

Ces deux romans japonais, traitant de la fin de vie, illustrent parfaitement la possibilité de « la gaieté jointe à la joie espérée d’exister vivant jusqu’à la mort » évoquée par Paul Ricoeur.

Les mémoires d’un chat raconte les efforts de Saturo, tentant de trouver un nouveau maître pour Nana, le chat de gouttière qu’il a adopté cinq ans auparavant, après que sa voiture l’ait percuté. On voyage ainsi aux quatre coins du Japon avec Saturo, accompagné de Nana, à la rencontre d’anciens camarades de classe, candidats à l’adoption. Les visites successives font découvrir les paysages japonais et l’histoire de vie de Saturo. Même si à trois reprises l’adoption échoue, les rencontres permettent aux amis d’évoquer des souvenirs heureux mais aussi parfois douloureux et d’en faire le deuil. Ce n’est que vers la fin du livre que l’on découvre le motif de ces voyages : la mort proche de Saturo. C’est finalement la tante de Saturo, qui l’avait adopté à la mort de ses parents, qui, à son tour, adoptera Nana. Le chat portera, au-delà de la mort de son maître, les souvenirs heureux de ses derniers voyages et rencontres.

Le goûter du Lion décrit les dernières semaines de vie de Shizuku, jeune femme atteinte d’un cancer au stade terminal. Pour ses derniers jours, elle a décidé d’intégrer la Maison du Lion, maison de fin de vie, situé sur l’île aux citrons au milieu de la mer intérieure de Seto. Son séjour est nourri des rencontres successives avec Madonna, la directrice de la Maison, avec les autres pensionnaires dont elle découvre l’histoire, avec Tahichi, un viticulteur de l’île et Rokko, le chien d’une ancienne pensionnaire qui l’adopte. La vie de Shizuku est aussi rythmée par les goûters dominicaux, chaque invité ayant la possibilité de « rédiger une demande de goûter, un dessert qui vit dans (son) souvenir ». Au travers de ces rencontres, alors qu’à son arrivée elle avait « les yeux rivés sur la mort », elle a compris « qu’accepter la mort, c’était aussi accepter le désir de vivre, de vivre le plus longtemps possible (…) Vivre pleinement chaque jour. Ne pas les expédier, juste parce que la fin (est) proche, mais savourer la vie jusqu’à la dernière goutte. » Enfin, peu de jours avant sa mort, elle retrouve son père adoptif, avec qui elle n’avait plus de contact et fait connaissance avec sa demi-sœur. A sa mort, son esprit peut ainsi rejoindre sa famille d’adoption.

Recension par Patrick Karcher.

Lecture Essai

La personne et le sacré

Simone WEIL, Ed Allia (2023)

Il s’agit d’une nouvelle réédition d’un essai écrit par la philosophe Simone Weil à Londres dans la dernière année de sa vie. Dans ce texte, elle critique la philosophie personnaliste d’Emmanuel Mounier, mais surtout mène une réflexion sur les principes qui guident notre action. Pour Weil « il est le respect de la personne humaine ne peut être ce principe car impossible à définir et « (beaucoup) de notions lumineuses sont dans ce cas » (p. 8). A procéder par abstractions, on court le risque de couper les êtres humains réels du discours les concernant, et de glisser vers l’oppression : « Prendre pour règle de la morale publique une notion impossible à définir et à concevoir, c’est donner passage à toutes espèces de tyrannie » (p. 9).

Pour Weil, « (i)l y a dans chaque homme quelque chose de sacré. Mais ce n’est pas sa personne. Ce n’est pas non plus la personne humaine. C’est lui, cet homme, tout simplement. » (p. 7). Ce qui nous retiendra de faire du mal à cet individu, ce n’est pas le principe qu’il incarne, mais le fait qu’« il aurait l’âme déchirée par la pensée qu’on lui fait du mal » (p. 10) s’attendant « invinciblement qu’on lui fasse du bien et non du mal » (p.10)

Il y a ainsi injustice à chaque fois que se pose la question « Pourquoi me fait-on du mal ? » (p. 11) mais cette question reste souvent inexprimée, silencieuse et donc non entendue par celui qui inflige le mal. Permettre l’expression de cette question doit être le but d’un système institutionnel juste, par une éducation publique qui favorise cette expression.

« Ce qui est sacré, bien loin que ce soit la personne, c’est ce qui, dans un être humain est impersonnel. » (p. 16) à savoir la beauté et la vérité. Pour atteindre l’impersonnel, il faut une attention d’une qualité rare et la solitude morale que l’on ne retrouve ni dans l’épanouissement personnel, ni dans la subordination au collectif. Il faut, pour accéder à cette part de l’impersonnel l’aménagement pour chaque personne d’un « degré de libre disposition du temps (…) de la solitude, du silence » et que « la détresse ne la contraigne pas à se noyer dans le collectif » (p. 27), contrainte que l’on retrouve dans la société moderne, notamment dans l’avilissement par le travail mécanisé.

Pour Simone Weil, ni la démocratie, ni le droit ne permettent d’accéder à l’impersonnel. Le droit est « par nature dépendant de la force » (p. 32), issu du droit romain d’user et d’abuser de la propriété, propriété incluant des êtres humains. « « J’ai le droit de… », « Vous n’avez pas le droit de… » (…) enferment une guerre latente et éveillent un esprit de guerre. » (p.37). De plus, le droit s’avère insuffisant pour régler « le drame social », pour répondre aux « cris des opprimés ». Il ne peut que donner l’illusion « de réclamer pour tous une part égale aux privilèges, aux choses qui ont pour essence d’être des privilèges » (p. 40) et qui ne valent pas d’être désirés. « Mettre dans la bouche des malheureux des mots qui appartiennent à la région moyenne des valeurs, tels que démocratie, droit ou personne, c’est leur faire un présent qui n’est susceptible de leur amener aucun bien » (p. 43) contrairement à la vérité, la beauté, la justice, la compassion. Ces pensées, quoique claires et rigoureuses sont hors du langage, non formulables « au-delà de ce que les hommes nomment intelligence, (…) là où commence la sagesse » (p. 52)

La justice consiste à veiller à ce qu’il ne soit pas fait de mal aux hommes, et pour ceux qui ont subi le mal à réduire ses conséquences. Ceux qui ont commis le mal « ne peuvent être réintégrés dans le bien que par l’infliction du mal » (p. 63) à savoir par le châtiment ; pour qu’en eux s’éveille aussi la question « Pourquoi me fait-on du mal ? », que « l’art de punir (soit) l’art d’éveiller chez les criminels le désir du bien » (p. 64) et non celui de la vengeance.

L’essai se termine sur l’appel à l’invention d’autres institutions permettant d’accéder à la vérité, la beauté, la justice : « Au-dessus des institutions destinées à protéger le droit, les personnes, les libertés démocratiques, il faut en inventer d’autres destinées à discerner et à abolir tout ce qui, dans la vie contemporaine, écrase les âmes sous l’injustice, le mensonge, la laideur. » (p. 71)

Recension par Patrick Karcher.

Lecture Essai

Clinique de la dignité

Cynthia FLEURY, Ed SEUIL Le compte à rebours (2023)

Dans « La clinique de la dignité » Cynthia Fleury engage un travail pour essayer de comprendre pourquoi, comment « la notion de dignité s’est imposée au cours des dernières décennies comme aussi centrale que celle de liberté et d’égalité » (p.9). Comment la revendication sociale et politique, illustrée par les Indignés espagnols, les mouvements « Black lives matter », gilets jaunes, sont des marches de la dignité, des mouvements d’indignation.

L’auteure pose en préambule le caractère inaliénable de la dignité pour se pencher ensuite sur sa réalité physique, l’expérience qui en est faite par les individus. Réalisant en miroir une clinique de l’indignité voire de l’indignation comme expérience du dépassement des limites.

Ce sont les conditions de cette expérience que l’auteure approche pour soutenir son propos, pour dire comment « l’exigence de matérialisation signe la validité du concept de dignité, sa crédibilité » (p. 18).

Cynthia Fleury tente à travers l’histoire de l’esclavage, le racisme, les travaux sur les emplois du « care » et ceux relatifs aux « dirty work » -sales boulots- de décortiquer ce qui participe du « sentiment d’indignité » (p.27) afin de questionner l’expérience de la dignité. Cette clinique étant à son sens un outil essentiel pour comprendre comment la revendication d’une dignité inaliénable passant par la théâtralisation de l’indignité prouve s’il en est, le besoin de récit narratif individuel et collectif.

Elle réalise pour ce faire des incursions autour de nombreuses thématiques telles que l’indignité universelle, la liberté, la vulnérabilité, la clinique de l’intime, ce qu’elle nomme les pathologies de la dignité, les questions de la liberté et de l’autonomie, l’invivabilité et les inégalités sociales, le brutalisme, l’acceptation des modes de vie dégradés et les risques d’effondrement et d’inhabitabilité liés à l’anthropocène….

Si l’on peut avoir le sentiment que certains thèmes mériteraient d’être encore questionnés, c’est bien sur le champ de l’action politique que cette réflexion débouche relevant que « l’indignation civique comme sentiment citoyen […]» (p. 101) est l’expression d’une démocratie naissante.

Et de conclure, qu’il est nécessaire de modifier l’éducation, privilégiant le pouvoir d’agir afin de permettre à chaque individu de s’inscrire dans une « dynamique capacitaire » (p.126).

Recension par Laure Pesch.