Janvier 2022 - N°2

édito

La parole est aux ”Jurys citoyens”

Pr Michel Hasselmann

Augmenter la puissance et les capacités d’une société humaine par la normalisation et l’amélioration de ses membres est une idée ancienne.

Selon A. Damet, les textes grecs évoquent « la belle naissance », « la noblesse », « la noble race » et, dans l’utopie platonicienne, la sélection des procréateurs et l’élimination postnatale des déficients doivent permettre d’assurer le gouvernement de la cité par les meilleurs de ses membres. Mais le terme eugénisme n’apparaissait pas. C’est en 1883, dans l’Angleterre victorienne, que Francis Galton, anthropologue, géographe et scientifique, cousin de Charles Darwin, invente le concept « Eugénique » fondé sur une théorie particulière de l’hérédité. Rapidement, cette idée fait naître une science nouvelle, l’eugénisme qui a pour objet l’amélioration de la race humaine en favorisant les bonnes unions par un « eugénisme positif », et en décourageant ou en interdisant les mauvaises unions pour éradiquer la dégénérescence des peuples ce qui fut nommé « eugénisme négatif ». Cette visée, bien accueillie par nombre de scientifiques et de médecins britanniques, se diffusa rapidement en Europe continentale et aux États-Unis. Mais l’histoire du XXe siècle nous apprit quelles conséquences funestes et dramatiques l’eugénisme portait en lui. À la lumière des crimes de l’Allemagne nazie qui poussa à l’extrême l’eugénisme négatif, toute idée d’eugénisme, y compris dans sa version positive, est depuis demeurée taboue.

Indépendamment de cette histoire tourmentée, les scientifiques ont cherché à comprendre comment et pourquoi les caractères phénotypiques, chez les plantes, les animaux et les humains, se transmettaient de génération en génération. Après la découverte des lois de l’hérédité par George Mendel en 1865, on découvrit, quinze ans plus tard, que celle-ci était inscrite dans les noyaux cellulaires, portée par les chromosomes (1902), enfin dans les gènes (1911). Les découvertes se sont multipliées à partir du moment où Watson, Cricks et Wilkins en 1953 décrivirent la double hélice de l’ADN. La compréhension du fonctionnement des gènes (1961) ouvrit la voie au séquençage du génome humain à partir des années 1980 dont la cartographie sera publiée en 1995. Fort de cet outil, la thérapie génique semblait alors accessible. Si quelques essais cliniques donnèrent espoir à des personnes atteintes de maladies génétiques, la manipulation du génome restait difficile. Tout changea en 2012 quand les équipes d’Emmanuelle Charpentier et de Jennifer Doudna réussirent à synthétiser CRISPR/Cas9, rapidement appelé « Ciseaux génétiques ». Il devint dès lors possible pour la plupart des laboratoires de supprimer, d’éteindre, d’ajouter ou de remplacer des gènes là où l'ADN avait été coupé, de façon plus précise et plus facile que ce n’était le cas avec les technologies anciennes.

Cette technique d’édition génomique peut théoriquement s’appliquer aux cellules reproductrices ou somatiques, chez les plantes et les animaux, mais également chez les humains comme traitement potentiel de maladies génétiques telle la mucoviscidose liée à une mutation d’un gène localisé sur le chromosome 7. L’efficacité de l'édition du génome dans des modèles expérimentaux de cette maladie laisse entrevoir la possibilité d'une application clinique.

Si l’avers de la médaille « Édition du génome » est particulièrement attractif pour une médecine de précision, son revers est à considérer avec attention. Tout d’abord sur le plan scientifique. Malgré les progrès de la recherche fondamentale et des tests cliniques, certains problèmes sous-jacents se dévoilent tels que l'efficacité de l'édition, la difficulté relative d'administration, les effets possibles sur d’autres cibles que celle visée, l'immunogénicité. Un autre volet porte sur les questions éthiques que ces techniques soulèvent pour la santé des humains, la préservation de la biodiversité et de l’environnement, le bien-être animal. Les modifications éventuelles du génome des cellules germinales, ovocytes et spermatozoïdes, qui peuvent être transmises à la descendance, sont un des points cruciaux du débat. Il s’agit en effet de manipulations à même d’entraîner jusqu’à une modification des espèces, humaine notamment.

L’importance de ces questions fait qu’elles ne doivent pas être laissées uniquement à la main des scientifiques, des politiques et des éthiciens. Elles concernent la population dans son ensemble et les citoyens doivent être associés à la réflexion. Cette volonté s’est traduite par la mise en œuvre du projet « Global Citizens’ Assembly on Genome Editing » au sein duquel la France est représentée par l’Inserm. Cet institut a sollicité la Conférence des Espaces de Réflexion Éthique Régionaux (CNERER) afin d’organiser des consultations citoyennes sur l’édition du génome. L’Erege a répondu présent à cette invitation et a organisé dans le Grand Est trois jurys citoyens, un en Alsace, un en Champagne-Ardenne et un en Lorraine. Après une sensibilisation par des spécialistes en biologie et en génétique, humaine, animale et végétale, les citoyens ont délibéré pour dire ce qu’ils acceptent, ce qu’ils refusent et ce qu’ils proposent au regard de toutes les possibilités offertes par l’ingénierie génomique. Les conclusions émanant de chaque jury citoyen seront analysées par la CNERER et l’Inserm qui transmettront la synthèse nationale à la plateforme internationale pour agrégation avec les autres données mondiales. Les conclusions devant être présentées à l’ONU en principe en 2022.

Les techniques actuelles, et celles qui ne manqueront pas d’advenir, ouvrent très clairement sur des possibilités d’eugénisme infiniment plus puissantes que ce que n’avaient imaginé naguère les inventeurs du concept. Pour faire que ces innovations biotechnologiques soient des progrès pour l’humanité et pour éviter qu’elles n’entraînent des dérives irréversibles, il est essentiel de dire quel monde et quelle humanité nous voulons. C’est aux citoyens de se prononcer, pour eux-mêmes aujourd’hui, pour leur descendance plus tard.

Espérons que l’intelligence collective mondiale évitera que la réalité future du monde que nous laisserons derrière nous ne soit pas celle décrite dans le film de science-fiction d’Andrew Niccol, « Bienvenue à Gattaca ».

Témoignages

Récits autour d’un thème lié au questionnement éthique

Amandine Andruchiw, coordinatrice du site d’appui champardennais

Périnatalité

Ethique, psychanalyse et périnatalité

Brigitte Frosio-Simion,
psychologue-psychanalyste

Il y a plus de trois siècles, Baruch Spinoza trace une voie évitant le clivage habituel psyché- soma, dans L’Éthique (1677) : « le corps et l’esprit ne sont pas des entités différentes mais bien une même chose, envisagée différemment ». Le paradigme de l’assertion peut se lire ainsi : l’esprit, c’est l’idée du corps. Ainsi, l’idée du corps et le corps ne sont pas deux êtres distincts, mais renvoient à une seule et même entité considérée tour à tour comme une réalité matérielle ou comme l’objet d’une pensée réflexive.

Chez Georges Canguilhem, les notions de normal et pathologique s’articulent autour des considérations d’éthique appliquée qui doivent inclure les concepts de « non-malfaisance » et de « bienfaisance », de « respect de l’autonomie » et de « dignité de la personne », de « prise en compte de la vulnérabilité » et de « conduite équitable ». En périnatalité ces notions se complexifient du fait des interactions médico-psycho-sociales influant sur les devenirs de chaque nouveau membre de la famille à venir. Nous sommes d’emblée face à l’existence d’une multiplicité de patients potentiels : le bébé, la mère, la femme enceinte, le fœtus, la future mère, le co-parent (nouvelle appellation d’une place qui se devrait d’être tierce).

L’éthique en périnatalité questionne le plus souvent, les IMG et les soins palliatifs, mais nous n’avons pas, ou peu, lu d’articles mentionnant les questionnements éthiques des soins en périnatalité qui ont d’ailleurs pris un sens particulier pendant la pandémie (nous avions à ce propos interpellé la cellule de soutien éthique par une saisine).

Le CH de Chaumont-Bourbonne les Bains-Langres propose des temps de questionnements éthiques autour des pratiques soignantes en périnatalité. Ces espaces de paroles ont été créés dans les suites d’un événement indésirable grave qui a profondément affecté l’ensemble des équipes. Les RMM (Revue de mortalité et de morbidité) apportent l’éclairage technique, mais ne prennent pas compte les souffrances psychiques. Nous avons alors co-construit un nouvel espace d’élaboration de l’articulation psyché-soma dans un corps contenant qui est le groupe d’analyse.

Marie-José DEL VOLGO dans son dernier ouvrage « Le soin menacé. Chronique d’une catastrophe humaine annoncée » (Ed. du Croquant 2021) évoque clairement la déshumanisation hospitalière (drôle de signifiant dans ce contexte inhospitalier !) des équipes dont la souffrance est méprisée, relevant de l’anecdote. « Le prendre soin et le souci de la vulnérabilité ne doivent pas passer à la trappe ». L'instant de dire, dispositif de travail psychanalytique, créé au sein d'une entité médicale de plus en plus technique, organise cette rupture et cette ouverture dans l'enchaînement des soins et des examens complémentaires, il donne du sens aux actes parfois coupés du réel de chacun.

Il faut aussi entendre les souffrances exprimées en psychothérapie de la part des patientes à propos de leur expérience de la maternité (lieu et fonction), qui nous ont amenée à réfléchir à une écoute spécifique à mettre en place pour ces difficultés à devenir mère et plus largement à devenir parents.

Ces deux scènes sur lesquelles se jouent, et se réactualisent les conflits psychiques enfouis (celle de la parentalité à venir et celle de la prise en charge médicale et paramédicale) doivent être vues et entendues.

Diverses questions éthiques peuvent être soulevées :

  • Les interrogations des soignants et/ou services de Protection Maternelle Infantile face à des mères qui semblent ne pas s'occuper de leur bébé sont peut-être à appréhender du côté de la Dépression Post-Natale. De nombreuses recherches ont montré l’impact de la D.P.N sur l’évolution des enfants, évolution tant sur le plan affectif et psychopathologique que sur le plan cognitif et de la maturation cérébrale. Les dépressions postnatales occupent aujourd'hui le premier rang des complications du post- partum (10 à 20%). De ce fait, son dépistage, sa prévention et son traitement s’imposent. Ceci ne peut être fait que par l’action conjointe des psychiatres, psychologues, psychanalystes, gynécologues, sage-femmes, puéricultrices, aide- puéricultrices et de toute personne prenant en charge les femmes enceintes et en post-partum, plus particulièrement celles à risque. Des questionnaires d’évaluation de la DPN sont donnés aux parturientes.
  • Les interrogations autour de la capacité (ou non) à devenir parents pour certains couples entraînent des discussions entre les soignants. Nous avons mis en place à Chaumont, des réunions d’analyses de situations à risques en collaboration avec les services de gynécologie, maternité, pédiatrie, néonatologie, pédopsychiatrie, P.M.I et Unité de psychologie. Nous évoquons les actes soignants au regard d’une éthique des soins permettant l’élaboration de nouvelles pratiques (consultations en néonatologie offrant une écoute à toute patiente qui le souhaiterait, entretiens divers au cours de la grossesse, accueil des co.parents-mères-enfants en souffrance…)
  • L’éthique en périnatalité questionne aussi le désir d’enfant et ses avatars. Une demande de maternité ou paternité ne signifie pas toujours désir de rencontre d’un sujet, petit d’homme, différent de celui imaginé et idéalisé. L’éthique de cet accompagnement de la découverte réciproque consiste en une proposition d’accueil des souffrances liées à la confrontation à la réalité de cette naissance. Il n’y a pas de réponses toutes faites, pas de recettes, juste un accueil des difficultés et des tentatives de résolutions de celles-ci.

Il nous semble que « l’écoute psychanalytique » du matériel psychique contenu dans les manifestations somatiques, les comportements, les expressions affectives, les mots utilisés, les interventions sur le cadre, etc. ouvre un espace de constructions possibles de sens et de soins singuliers. Les circonstances qui entourent l’accouchement et les premiers moments de vie avec le nourrisson peuvent être psychiquement déstabilisants et même recéler un potentiel traumatique à ne pas sous-estimer (césarienne, hémorragie, éclampsie…de la maman, prématurité, malformations, souffrance néonatale… du bébé). C’est pourquoi, il est important d’avoir une certaine connaissance de ces aspects médicaux pour pouvoir aller au-delà de ces vécus traumatiques et toucher aux mouvements psychiques qu’ils peuvent engendrer. Les circonstances d’accueil pendant la période COVID furent par instant et dans certains lieux, désastreuses pour l’enfant et ses parents (le port de masques quand ils étaient seuls avec le bébé, les interdictions de visites…). J’ai pu entendre le silence des enfants en l’absence de visites de leurs parents, des parents qui ne savaient plus s’adresser à leur enfant car sidérés par l’excès hygiéniste.

Nous tenons à faire reconnaître la nécessité d’une recherche en éthique autour de la périnatalité afin de proposer un accueil et une prise en charge pertinents à ces parents en devenir quelles que soient les conditions sanitaires du jour.

Attendre un enfant et le mettre au monde en temps de COVID,
par Pr Philippe Deruelle, Gynécologue-Obstétricien

Recherche

Coups d’œil sur la recherche en éthique

Pr Christophe De Champs de St Leger, Président du conseil d’orientation du site d’appui champardennais

La casuistique dans l’éthique médicale,

Pr Christophe De Champs De St Leger,
Président du Conseil d'orientation du Site d'appui champardennais de l'EREGE

Au Printemps 2021, l’Espace Éthique PACA-Corse a invité des étudiants en médecine et des internes à partager les situations qu’ils avaient vécues au cours de la crise COVID et qui soulevaient des problèmes éthiques. Pour le docteur Marie-Ange Einaudi, ces rencontres entraient dans une démarche casuistique. La casuistique s’efforce de résoudre les cas de conscience par analyse de cas, par opposition à l’application stricte d’une règle préalablement établie, dans une loi, un code moral ou religieux. Dans la pratique médicale occidentale elle apparaît comme une composante indissociable de l’éthique médicale. Elle concerne le soignant lorsqu’il se trouve confronté à des repères contradictoires pour décider de la conduite à tenir pour le soin de certains patients. Elle trouve son application dans l’analyse des cas, dans les saisines des comités et espaces éthiques. Elle concerne aussi d’autres disciplines que la médecine.

Le traitement casuistique des questions morales est sans doute indissociable de la naissance de la morale elle-même. Penser par cas a été l’ambition de la casuistique sans que la notion de cas ait été définie, ni les procédures de résolution de cas. Cependant l'évolution en trois étapes du développement de la casuistique à travers l'histoire est analogue à celle qui s’observe, actuellement, lors de l’émergence d’une situation nouvelle : le cas apparaît successivement comme une exception, puis un exemplaire dans le sens où il est recensé ensuite comme un cas typique, et enfin comme une échéance c’est-à-dire un appel à la concertation, telle qu’elle se réalise dans les conférences de consensus.

Le problème peut parfois se trouver dans la définition du cas et avoir une dimension juridique. Par exemple, les décisions concernant les embryons humains posent la question de la définition de la personne humaine.

L’expérience prouve que les lois et les recommandations les mieux faites ne répondent pas à toutes les situations. Les comités et espaces éthiques sont là pour donner au praticien des repères de réflexion et l’accompagner. Ce dernier garde la responsabilité d’une décision qui doit concilier les lois morales et la complexité de la situation humaine rencontrée.

Qu’est-ce que la casuistique ?
Pr Yves Martinet, Pr émérite de la Faculté de Médecine de Nancy, Président Comité d’éthique CHRU Nancy, Président Comité National Contre le Tabagisme, Pdt Grand Est Sans Tabac

Le vécu des étudiants en médecine durant la crise COVID,
Dr Marie-Ange Einaudi, PH en pédiatrie, membre de l’ERE PACA-Corse

presse

Les articles scientifiques ou grand public qui posent des questions éthiques

Pr Gérard Audibert, Directeur de l'EREGE & Pr Michel Hasselmann, Directeur du site d’appui alsacien

Le laboratoire, l’Agence et le docteur,

Pr Gérard Audibert,
Directeur de l'EREGE

Lorsqu’ils s’intéressent à un médicament, le laboratoire, l’Agence et le docteur doivent établir un rapport bénéfice/risque. Le bénéfice est parfois évident, parfois difficile à mesurer : quelle indication, chez quels patients, à quelle dose ? Même lorsque le bénéfice est évident (vaccin anti COVID), il peut être contesté. Le risque peut être immédiatement mesurable et stoppe alors le développement du produit avant sa commercialisation. Parfois il n’apparait que longtemps après la commercialisation du médicament, parce que sa survenue est très rare et impossible à mesurer au cours d’études traditionnelles qui n’impliquent, au mieux, que quelques dizaines de milliers de patients. Lorsque le risque n’apparait que tardivement, l’évaluation du rapport bénéfice /risque va être pollué par un troisième facteur : l’argent.

L’argent intervient, bien sur, au niveau du laboratoire qui vend le médicament et peut avoir tendance à en exagérer les bénéfices et/ou diminuer les effets secondaires. L’argent, c’est aussi la rémunération du médecin expert. Qu’est ce qu’un médecin expert ? Il s’agit de quelqu’un qui a fait des recherches sur la molécule, qui la connait particulièrement bien, souvent un hospitalo universitaire (mais pas toujours). Il bénéficie de l’aura du sachant, appartenant à l’Université. Ce savoir est exploité par le laboratoire qui rémunère l’expert pour la réalisation d’études ou pour donner des conférences au sujet du médicament. Mais l’Agence, chargée d’établir les règles de bon usage du médicament, fait appel aux mêmes experts. Là, se niche le conflit d’intérêt. Celui-ci fait désormais l’objet de déclarations officielles et ces données sont publiques et accessibles à tout un chacun sur les sites gouvernementaux.

Néanmoins, ces conflits d’intérêts ont parfois donné naissance à des catastrophes. La plus retentissante est celle du Médiator dont le procès s’est récemment achevé (en première instance, appel en 2022) et a duré tellement longtemps que certains protagonistes et non des moindres sont décédés avant sa conclusion. C’est l’histoire de ce procès à laquelle la revue Prescrire consacre un récent article.

Dans celui-ci, la présentation des médecins cède à un parti pris constamment caricatural et, en comparaison de la description des experts, les médecins de Molière passeraient pour des modèles de rigueur professionnelle. La revue Prescrire est d’ailleurs au centre d’un autre conflit d’intérêt d’une nature différente, certes : ses rédacteurs ont été cités comme témoins au cours du procès. Il n’empêche. Les faits, la succession d’erreurs commises (volontairement ou non) par les experts laisse pantois de même que l’incompétence de l’Agence, qui a d’ailleurs conduit à sa disparition pour renaitre sous une autre forme (L’Afssaps, agence française de sécurité sanitaire des produits de santé devenant en 2012 l’actuelle ANSM, agence nationale de sécurité du médicament). Qu’un laboratoire défende ses activités, parfois au-delà des limites éthiquement acceptables, n’est pas surprenant, à défaut d’être admissible. Mais qu’une Agence gouvernementale fasse aussi mal son travail est proprement stupéfiant. Mais, comme tout bon retour d’expérience, il importe de s’intéresser aux causes racine. Le manque de moyens apparait alors criant. Peu de personnel pour surveiller une énorme quantité de médicaments, peu de moyens financiers pour rémunérer des experts bénévoles, une firme puissante exerçant des pressions sur une Agence faible... Malgré tout,le scandale du Médiator a été déclenché par des personnes extérieures à l’Agence, somme toute pas si nombreuses : la tache n’était donc pas insurmontable. Par ailleurs, la multiplication des Agences, loin de résoudre le problème, l’aggrave car elles peuvent rendre des avis contradictoires. Ainsi , un médicament du choc septique a obtenu de l’ANSM une autorisation de mise sur le marché en France (comme partout en Europe) mais son remboursement est bloqué par la Haute Autorité de Santé et donc cela réduit considérablement son utilisation en France.

Au total, la lecture de cet article est passionnante et alimente la réflexion sur le futur de l’évaluation du bénéfice/risque des médicaments.

Si La Fontaine ressuscitait au XXIe siècle, nul doute que le procès du Mediator lui aurait inspiré une nouvelle fable. Peut-être l’aurait-il intitulé : Le laboratoire, l’Agence et le docteur. Quelle en aurait été la morale ? « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir ? » ou alors « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage». Gageons qu’il en aurait trouvé une nouvelle, toujours aussi savoureuse, pour nous faire réfléchir sur le délicat dilemme éthique du médicament et l’argent. A l’heure du débat sur la fourniture de vaccins anti covid 19 au pays dits du Sud, ce dilemme est plus que jamais d’actualité.

événements

Retour sur les manifestations réalisées ou soutenues par L'EREGE

Laure Pesch, coordinatrice du site d’appui alsacien

Rencontres

"Le tri des patients en période de Covid : mythe ou réalité?"
Trois interventions pour mieux comprendre les événements récents

Revoyez l'intégralité de la conférence du 25 octobre 2021

Conférence organisée par le Site d'appui lorrain de l'EREGE, avec le soutien de la ville de Metz

  • « Management hospitalier en période de crise » par le Professeur Thierry Nobre (école de management, Strasbourg)
  • « Le Tri des patients est-il indissociable de la notion d’urgence ? » par le Docteur François Braun (CHR Metz-Thionville)
  • « Hiérarchisation et priorisation des soins en période d’afflux massifs de patients en Guadeloupe : quel bilan à court terme ? » par le Docteur Marilyn Lackmy (CHRU Guadeloupe), le Docteur Corinne Sainte-Luce (EREGIN) et le Docteur Marc Valette (CHRU Guadeloupe)
Journée d'étude

“Au cœur de la crise. Quand les conflits de valeurs surgissent”

Laure Pesch,
coordinatrice du site d'appui alsacien

C’est le thème retenu cette année par le site d’appui alsacien pour la journée d’étude qui s’est tenue le 9 décembre 2021 à Colmar. Plus de 60 personnes, étudiants, soignants, médecins sont venues réfléchir aux tensions créées par les conditions d’exercice professionnel imposées par l’état d’urgence sanitaire.

Pour réfléchir sur ce sujet Sylvie Bach, professeure de philosophie, a interrogé la notion de la liberté en posant la question « Pouvons-nous faire des compromis sur nos libertés sans nous compromettre ? ». Des libertés ont en effet été sacrifiées pendant les périodes de confinement, par exemple celles d’aller et venir, de se réunir. Or la liberté est considérée comme une valeur fondamentale. Ce qui signifie que nous ne voulons pas la sacrifier, sous aucun prétexte. Mais se pose alors la question très concrète de savoir comment sauvegarder « sa » propre idée de la liberté sans mettre en péril la solidarité, c’est-à-dire le fait de vivre en interdépendance les uns des autres dans la société.

Cet état de tension entre d’un côté le sens éthique de la liberté, et de l’autre, son sens politique impose que l’on choisisse entre ce que je suis, ce à quoi je crois, l’idée que rien ne peut me dicter mes choix. Alors si l’on est empêché d’être libre, faut-il désobéir ? Et dans quelles conditions cette désobéissance préserverait-elle notre liberté demande Sylvie Bach ? Face à cette tension Sylvie Bach propose une troisième voix qui serait celle de « l’accommodement ». C’est à dire la prise de conscience que face à des règles que l’on juge imparfaites, il peut aussi être juste et bon de les considérer comme nécessaires. L’accommodement vise l’adoption d’une attitude conciliante avec ceux avec qui on est en désaccord. Il ne s’agit pas de déterminer qui a raison et qui a tort, mais de proposer une conciliation. Cela ne signifie pas renoncer à ses convictions, mais de préserver les liens qu’on a avec les autres, à d’autres niveaux.

En réponse à cette proposition d’accommodement Mélaine Vo Dinh, Formatrice, a partagé son expérience de cadre infirmière et notamment la place du cadre infirmier qui, à l’interface de plusieurs instances (direction, médecins, équipes) se retrouve en situation de tension permanente. Les situations d’injonctions contradictoires qui ont marqué les premiers temps de la crise sanitaire ont provoqué l’expression des valeurs personnelles des soignants, leur incompréhension de certaines consignes, leur difficulté à se projeter dans leur métier. Si la subordination hiérarchique impose aux soignants de se soumettre au contrôle hiérarchique de l'autorité supérieure compétente, d’obéir aux lois et règlements et de faire preuve de loyauté dans l'exercice de ses fonctions, elle n’empêche pas l’expression de dissonances, en particulier face à des situations éprouvantes ou lorsque le bien-être des équipes est en question. L’attention du cadre de santé s’est alors portée sur le maintien d’un sens dans le soin, d’une perspective humaine face à des rationalités venant interroger les dimensions de sa pratique, quitte parfois à transgresser les normes pour inventer des solutions, faciliter la collaboration et s’entraider.

Maria Gonzalez, Professeure de médecine du travail, a reconnu que ce risque psycho-social reste pour l’heure encore peu étudié. Les infirmiers et les aides soignant représentent pourtant l’une des populations professionnelles les plus exposées aux conflits de valeur.

« Ensemble des conflits qui portent sur des choses auxquelles les professionnels octroient de la valeur : conflits éthiques, qualité empêchée, sentiment d’inutilité du travail, atteinte à l’image du métier »

Les conflits de valeurs peuvent surgir quand le soignant est contraint de choisir entre des impératifs économiques et les besoins des patients par exemple, ou quand il est obligé de travailler en désaccord avec sa conscience. Cela se cumule avec les autres risques du métier, qui eux aussi ont été aggravés par la crise sanitaire. Or les conflits de valeurs non résolus peuvent aboutir à une véritable détresse morale, une baisse de l’estime de soi, une culpabilité, de l’épuisement, voire un renoncement au métier.

La journée s’est poursuivie autour de l’étude d’un cas clinique qui avait pour objet de soulever des situations de tensions, dans lesquelles les participants devaient se prononcer, et argumenter leur choix. Déclencheur de d’ébat et de discussion, le cas clinique a été un moment clef de cette journée car chacun a pu s’exprimer, s’interroger.

media

Des liens vers des émissions TV, radios, podcast, webinaires, conférences... intéressants du point de vue éthique

Hélène Gebel, coordinatrice régionale de l'EREGE

Replay

Plus grand que soi

"C'est quoi être un aidant ? Est-ce que faire un câlin, c'est être un aidant ?", se demande Alice, dont le petit frère est atteint d'une myopathie. La question est judicieuse. A partir de quand, un jeune devient-il l'aidant d'un membre malade ou handicapé de sa famille ? Ce documentaire part à la rencontre d'Alice, Cynthia, Eva et Martin, quatre jeunes aidants qui témoignent de leurs vies au sein de leurs familles.

France TV, Infrarouge, 61 min, 20/10/2021
Radio

Cellules artificielles : il était une nouvelle fois la vie ?

Qu'est-ce qu'une cellule artificielle ? Où en est-on de leur fabrication ? Quelles sont les fonctions biologiques et métaboliques qui doivent être reproduites ? Pourquoi vouloir fabriquer des cellules artificielles ? Quelles sont les applications potentielles ?

France culture, La Méthode scientifique, 58, min, 13/10/2021

culture

Tour d’horizon d’œuvres qui nous permettent d’aborder des questionnements éthiques de manière singulière

Hélène Gebel, coordinatrice régionale de l’EREGE

Ethiques en séries, n°2

Young Sheldon ou la question de la norme durant l’enfance.

par Hélène GEBEL

Sitcom créée par Chuck Lorre et Steven Molaro. Diffusée sur Canal+

Lectures

À la folie

Joy Sorman, Flammarion, Hors collection - Littérature française

Auteur « Ce jour-là j’ai compris ce qui me troublait. Peut-être moins le spectacle de la douleur, de la déraison, du dénuement, que cette lutte qui ne s’éteint jamais, au bout d’un an comme de vingt, en dépit des traitements qui érodent la volonté et du sens de la défaite, ça ne meurt jamais, c’est la vie qui insiste, dont on ne vient jamais à bout malgré la chambre d’isolement et les injections à haute dose. Tous refusent, contestent, récusent, aucune folie ne les éloigne définitivement de cet élan-là. »

Durant toute une année, Joy Sorman s’est rendue au pavillon 4B d’un hôpital psychiatrique et y a recueilli les paroles de ceux que l’on dit fous et de leurs soignants. De ces hommes et de ces femmes aux existences abîmées, l’auteure a fait un livre dont Franck, Maria, Catherine, Youcef, Barnabé et Robert sont les inoubliables personnages. À la folie est le roman de leur vie enfermée.

À la folie
Lectures

L'Incroyable Histoire de l'immortalité

Benoist Simmat, Philippe Bercovici, Les Arenes Eds

Depuis toujours, l'Homme rêve d'être immortel.

Cette quête du Graal a une histoire millénaire : les sectes gnostiques, les alchimistes, les scientistes et même les eugénistes ont été les premiers à tenter d'accéder à l'immortalité. Ils ont entrepris des expériences visant à augmenter les capacités biologiques des êtres humains.

Au xxe siècle, les révolutions technologiques, informatiques et numériques ont décuplé les possibilités de faire un jour advenir un " transhumain ". Vaincre la maladie, la vieillesse, la mort, n'est plus une chimère. De Léonard de Vinci à Google en passant par Paracelse, Teilhard de Chardin ou l'homme nouveau soviétique, cette “BD document” nous raconte l'histoire méconnue de ceux qui, inlassablement, ont cherché à transcender la nature humaine.

L'Incroyable Histoire de l'immortalité
Lectures

Interruption. L'avortement par celles qui l'ont vécu

Sandra Vizzavona

« J’ai avorté deux fois et je suis la preuve qu’un avortement peut provoquer l’indifférence ou une déflagration. Je suis la preuve qu’il peut occuper vingt ans ou les seules semaines nécessaires à son accomplissement. Qu’il peut être l’unique issue envisageable ou simplement permettre d’attendre un meilleur moment.

Alors, j’ai été lasse des discours péremptoires sur les raisons pour lesquelles les femmes devraient y avoir recours et sur ce qu’elles devraient, ou non, ressentir à son occasion. J’ai eu envie d’écouter certaines d’entre elles raconter ce qu’elles avaient vécu, en refusant que d’autres parlent pour elles.

Ma préoccupation n’était pas le droit à l’avortement mais le droit à la parole de celles qui l’ont expérimenté.

Le droit à l’avortement est inscrit dans la loi depuis 45 ans mais son exercice doit toujours être discret, si ce n’est secret. La loi nous autorise à avorter, la société nous empêche d’en parler. Nous sommes nombreuses à nous plier à cette loi du silence, parce que la gêne et la culpabilité sont toujours là. Je suis cependant convaincue que ce droit sera toujours fragile si nous n’assumons pas pleinement d’y avoir recours comme bon nous semble et si nous pensons le protéger en faisant profil bas, laissant alors au passage certains professionnels de la santé nous malmener.

Voici donc ce livre, mélange de témoignages et d’une quête personnelle qui m’a transformée. Ce sont quelques histoires d’interruption. Douloureuses ou anodines. Singulières. Une interruption aussi je l’espère, quand bien même furtive, du silence, de la honte et de la colère. »

Interruption. L'avortement par celles qui l'ont vécu
Lectures

Le Plongeon, T1

Séverine Vidal et Victor Lorenz Pinel

En fermant une dernière fois les volets de sa maison, Yvonne, 80 ans, abandonne 40 ans de vie pour intégrer un EHPAD. Le changement est rude pour cette femme indépendante, d’autant qu’elle a encore toute sa tête. Elle a du mal à s’acclimater à cette nouvelle vie, qui la rapproche douloureusement de la mort. Prise dans le tourbillon inéluctable de la vie, l’octogénaire décide de s’offrir une dernière parenthèse enchantée.

Le Plongeon
Lectures

Corps public

Camille Ulrich, Mathilde Ramadier, Editions du Faubourg

Le corps de Morgan est sans cesse une affaire publique. Dès douze ans, le gynécologue veut la mettre sous pilule.

À vingt ans, ses parents la verraient mieux baby-sitter qu'ouvreuse. Son prof de théâtre prend les comédiennes pour des « hystériques », son sex-friend confond ébats et narcissisme... Puis Pierre entre dans sa vie. Ils veulent un enfant. Comment faire face à ce désir bouleversant ?

corps public
Lectures

Vivre avec nos morts

Delphine Horvilleur, Grasset

« Tant de fois je me suis tenue avec des mourants et avec leurs familles. Tant de fois j’ai pris la parole à des enterrements, puis entendu les hommages de fils et de filles endeuillés, de parents dévastés, de conjoints détruits, d’amis anéantis… »

Etre rabbin, c’est vivre avec la mort : celle des autres, celle des vôtres. Mais c’est surtout transmuer cette mort en leçon de vie pour ceux qui restent : « Savoir raconter ce qui fut mille fois dit, mais donner à celui qui entend l’histoire pour la première fois des clefs inédites pour appréhender la sienne. Telle est ma fonction. Je me tiens aux côtés d’hommes et de femmes qui, aux moments charnières de leurs vies, ont besoin de récits. »

A travers onze chapitres, Delphine Horvilleur superpose trois dimensions, comme trois fils étroitement tressés : le récit, la réflexion et la confession. Le récit d’ une vie interrompue (célèbre ou anonyme), la manière de donner sens à cette mort à travers telle ou telle exégèse des textes sacrés, et l’évocation d’une blessure intime ou la remémoration d’un épisode autobiographique dont elle a réveillé le souvenir enseveli.

ous vivons tous avec des fantômes : « Ceux de nos histoires personnelles, familiales ou collectives, ceux des nations qui nous ont vu naître, des cultures qui nous abritent, des histoires qu’on nous a racontées ou tues, et parfois des langues que nous parlons. » Les récits sacrés ouvrent un passage entre les vivants et les morts. « Le rôle d’un conteur est de se tenir à la porte pour s’assurer qu’elle reste ouverte » et de permettre à chacun de faire la paix avec ses fantômes…

Vivre avec nos morts

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